Compétitivité internationale du secteur agroalimentaire : la faute à quoi ?
La baisse de la compétitivité internationale du secteur agroalimentaire français est une réalité. Les coûts salariaux et la productivité sont souvent pointés du doigt mais n’expliquent pas tout.
La dégradation du solde commercial agricole et agroalimentaire français témoigne de notre moindre capacité à faire face à la concurrence internationale et aux chocs conjoncturels.
L’embargo russe de 2014 l’a révélé : la France a vu ses parts de marchés diminuer sur les produits ciblés par l’embargo, toutes destinations confondues, au profit d’autres pays européens, Allemagne et Pologne en tête, qui ont davantage su rebondir en se redirigeant vers le marché européen.
La compétitivité ne se résume pas au coût du travail et à la productivité
Selon les travaux de Carl Gaigné [1], directeur de recherche à l’Inrae basé à Rennes, quatre facteurs-clés pèsent sur la compétitivité de l’industrie agroalimentaire (IAA) française :
- le coût du travail : son impact est non négligeable mais reste faible. Ainsi, réduire de 8 % les coûts salariaux français pour les aligner sur ceux de l’Allemagne diminuerait de seulement 2,6 % les importations agroalimentaires françaises en provenance de l’UE.
- l’absence de gain de productivité : entre 1995 et 2015, la productivité totale des facteurs [de production] a diminué en moyenne de 0,4 %, avec de fortes disparités (évolution à -7,40 % pour le dernier décile à +6,85 % pour le premier décile). Pour compenser, les marges des IAA ont été rognées de 18 % en moyenne, réduisant les possibilités d’innovation. La baisse des parts de marché des filières viandes de boucherie et de volailles peut s’expliquer par ce facteur : la productivité du travail (chiffre d’affaires/effectifs salariés) est devenue 80 % plus élevée en Allemagne qu’en France.
- le manque de compétitivité hors-prix : la qualité perçue des produits français les défavorise face à d’autres origines (ex. Italie). Dans le secteur des viandes, cela s’ajoute au poids du coût du travail plus fort que le reste de l’IAA et pénalise les productions françaises au profit de l’origine espagnole par exemple. Les labellisations AOP permettent de contrer cet effet en facilitant l’export tout en garantissant des prix moyens plus élevés.
- les coûts d’accès aux marchés étrangers : les charges fixes à supporter avant de pouvoir exporter écartent les petits acteurs. Ces coûts varient selon le pays exportateur : à productivité, qualité perçue et coût de production et de transports égaux, les parts de marché françaises resteraient moitié moindres que celles de l’Allemagne en raison de ce facteur. L’acquisition d’intermédiaires (grossistes et détaillants) et la présence de la grande distribution domestique sur les marchés étrangers tempèrent cet effet. La force de la grande distribution française, implantée à l’international, est un atout à valoriser.
Les enjeux pour l’IAA français
Toujours selon Carl Gaigné, les enjeux forts de l’IAA sont la modernisation des outils, la qualité des produits et la structuration économique du secteur par fusion ou mise en réseau. Sur ce dernier point, il est acquis que la capacité d’exportation est fonction de la taille de l’entreprise. L’illustration ci-dessus montre bien que les activités d’exportations sont réservées à un faible nombre de structures qui en ont les moyens. L’hétérogénéité des tailles des entreprises agroalimentaires, avec de nombreuses TPE indépendantes, se traduit par une performance globale plus réduite pour le secteur français en comparaison avec l’Allemagne où les participations financières croisées sont monnaie courante.
Enfin, il est légitime de se demander si l’effet des investissements français à l’étranger dopent les exportations de produits français ou bien si cela génère au contraire une concurrence renforcée, avec des filiales françaises basées à l’étranger produisant directement pour le marché local.
Des savoir-faire bretons à valoriser
Terre d’élevage, la Bretagne dispose d’un secteur agroalimentaire puissamment ancré, de leaders spécialisés et d’un tissu dense de PME-ETI, pour certaines très innovantes. De véritables « économies d’agglomération » créatrice de synergies territoriales y existent, en particulier dans les filières animales.
« On a connu période très dynamique à l’export. Aujourd’hui, le retour du géopolitique n’est pas neutre. Un des enjeux est de consolider nos positions et marchés forts »
Rémi Cristoforetti, directeur de la coopérative Le Gouessant et président de l’ABEA
En revanche, la région est de plus en plus excentrée des grands bassins de consommation, avec le développement de la mondialisation et le renforcement des concurrences intra-européennes. Le plan routier breton a désenclavé la région à la fin du XXe siècle , mais c’est aujourd’hui le fret ferroviaire qu’il conviendrait de développer, ce qu’appuie Rémi Cristoforetti. Ce transport répond aux enjeux de l’industrie : flexibilité, coût, rapidité, volumes, carbone.
De plus, la baisse de la production agricole est actée pour Jean-François Appriou, administrateur de la coopérative Eureden et président de La Coopération Agricole Ouest. Pour y faire face, il préconise le soutien au renouvellement des générations et l’amélioration de la valeur ajoutée générée par l’IAA tout en faisant confiance à nos savoir-faire.
NB : cet article se base sur des travaux de recherche datant de la fin des années 2010 qui ne tiennent donc pas compte des crises que nous avons traversées depuis.
NB 2 : nous remercions MM. Rémi Cristoforetti, Jean-François Appriou et Carl Gaigné pour le temps qu’ils nous ont consacré afin de répondre à nos interrogations.
- Compétitivité internationale du secteur agroalimentaire français : c’est quoi le problème ?, Carl Gaigné, Karine Latouche, Stéphane Turolla, Annales des mines, 2020 ↩︎