Opérations de transaction en agroalimentaire : symptômes de bouleversements profonds

Une forte dynamique de restructuration s’observe dans le secteur agroalimentaire. Pour essayer d’en comprendre les causes et les conséquences nous avons questionné Olivier Rémond, expert agroalimentaire au sein du cabinet Auris finance.

Dans son bilan annuel des principales transactions, « AURIS Finance a recensé 132 opérations en 2023 dans le secteur de l’agroalimentaire impliquant au moins une contrepartie française (acquéreur ou cible) ».

La majorité (89 %) des transactions se font au bénéfice de sociétés françaises (source Auris finance, opérations 2023)

Parmi les industriels actifs en Bretagne, citons l’acquisition du spécialiste polonais de la dinde Indykpol par LDC ou le renforcement du pôle jus et boissons végétales d’Agromousquetaires par le rachat d’Hermes Boissons (Oise) qui produisait par le passé les jus Tropicana pour Pepsico.

Les principales transactions concernent les boissons alcoolisées (16 % des opérations) et les pains-biscuits-pâtisserie-confiserie (12 %) (source Auris finance, opérations 2023)

Quelles évolutions récentes observez-vous dans les opérations de transaction du secteur agroalimentaire ?

Olivier Rémond

Olivier Rémond : il y a trois ans, des acquéreurs cherchaient à acheter à prix cassé des sociétés fragilisées par des prêts garantis par l’État mal gérés. Aujourd’hui, les entreprises gardent des résultats d’exploitation faibles mais avec des perspectives d’optimisation. Leurs cédants, plus combatifs et sereins, équilibrent les négociations avec les potentiels acquéreurs.

Deux enjeux me semblent traverser le secteur :

  • des modèles macroéconomiques complexifiés plus difficiles à lire. Selon un dirigeant d’ETI : « le covid a été un moment difficile, mais j’ai la sensation que 2023 et 2024 sont encore plus compliqués ».
  • des enjeux humains exacerbés, surtout en ce début d’année 2024. Des sociétés revoient leur structure hiérarchique pour renforcer leurs compétences RH, conserver leurs collaborateurs et les impliquer dans le développement de l’entreprise.

Et certains dirigeants se disent « j’appréhende mal cette nouvelle complexité, je préfère céder ».

Qui sont les acquéreurs que vous rencontrez ?

O.R. : Les acquéreurs sont assez divers :

  • De grosses coopératives avec un modèle déjà très structuré et cherchant à le muscler par consolidation ou diversification.
  • Des sociétés ambitieuses à la recherche d’une bonne affaire. Celles-ci prennent aujourd’hui davantage le temps de la réflexion que pendant la crise covid.
  • Des dirigeants cinquantenaires disposant de temps, que l’on peut rencontrer en Bretagne : très dynamiques, avec un bon relationnel, impliqués dans l’opérationnel plutôt que le financier et (chose rare) à la tête d’un comité de direction qui s’entend bien et représentatif des fonctions de l’entreprise. Ils souhaitent explorer des secteurs non-familiers.
  • Des fonds d’investissements qui ont vocation à intégrer des sociétés en recherche de fonds propres pendant cinq à sept ans avec une plus-value à la revente.
  • Des family offices, portant les intérêts d’une famille ayant des fonds (extrêmement) importants, qui recherchent du rendement et s’investissent à long terme dans la société.

Comment se déroulent les négociations ?

O.R. : De la demande du cédant à la conclusion de la transaction il s’écoule généralement dix mois. Tout l’enjeu est de faire se rencontrer les bonnes personnes.
J’observe des acquéreurs qui évoluent beaucoup : de « je veux 100 % des parts » ils passent à « je suis face à un cédant avec un vrai savoir-faire » et revoient leurs ambitions à 30-40 %. C’est satisfaisant parce qu’on parle plus de création de valeur que de rachat pur et simple de capitaux.

Quels sont les impacts sur le terrain ?

O.R. : Pour la transformation agroalimentaire, l’évolution des modèles industriels et enjeux humains refaçonnent aujourd’hui les entreprises. Tous les acquéreurs que j’ai cités, même les fonds et les family offices, vont s’adapter sous la pression des attentes des marchés. Ils vont aussi en usine parce que c’est nécessaire d’être dans le vécu et pas dans l’image.

Du côté de la production agricole, qui doit aussi s’adapter, la question de la confiance est un des nœuds du problème soulevé par les mobilisations récentes.
Et les filières sont très peu actives : d’un côté, nous avons des individus très présents sur la marque « Bretagne ». De l’autre, des filières pas assez structurées qui ne peuvent pas défendre une Bretagne compétitive.


Auris Finance est un cabinet de conseil qui accompagne les entreprises dans leurs projets de cessions ou d’acquisition. L’entreprise est en particulier impliquée dans le secteur agroalimentaire avec une équipe de collaborateurs souvent passés par l’industrie.

Rédigé par William Guillo

Chargé de mission Économie - Emploi, référent alimentation animale, industries agroalimentaires et commerce extérieur

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