Avancer les négociations commerciales pour lutter contre l’inflation : une fausse bonne idée ?
Ce lundi 9 octobre les débutés votaient à 69 voix contre 51 l’avancée de clôture des négociations commerciales. Ces dernières devront se terminer au 15 janvier, et non plus au 1er mars, en démarrant toujours au 1er décembre. Avec ce raccourcissement d’un mois et demi, le gouvernement espère enfin tenir la promesse faite aux Français de voir les prix dans les rayons refluer, depuis la baisse constatée des coûts des matières premières.
Une mesure qui fragiliserait les PME et certaines filières ?
Mais la question du périmètre inquiète : il était jusqu’à présent question que les 75 grands industriels, qui garantissent la production de 50 % des produits de grande consommation (PGC), passent les premiers : urgence oblige… Les PME, qui auparavant ouvraient le bal des négociations commerciales, se voyaient donc cette année arriver en dernier. Leonard Prunier, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France, témoignait à LSA sa crainte que des acteurs plus gros ne « cannibalisent les budgets de la grande distribution et [préemptent] une grande partie du linéaire disponible ».
Certaines filières, à l’instar de la charcuterie ou du lait, très présentes en Bretagne, craignent d’être pénalisées par l’avancée de cette date. Les entreprises de la charcuterie subissent en effet des cours du porc exceptionnellement élevés (plus de 2 € le kilo, contre 1,20 € début 2022) ainsi que la hausse des charges (énergie, transports, salaire…). Un état d’esprit que l’on retrouve dans le secteur laitier. Un peu comme si, depuis l’entrée en vigueur d’Egalim, les peurs de supporter la baisse des coûts du produit fini ne pèsent non plus directement sur l’amont agricole, mais sur la première transformation (et principalement sur celle assurée par des PME).
Rappelons également que ces entreprises sont loin, pour certaines, d’avoir rattrapé les pertes de l’année précédente, liées à une augmentation des coûts des matières premières et à l’impossibilité de renégocier leurs marges en cours d’année.
Un amendement pour assouplir la loi
Olivia Grégoire, ministre chargée du commerce et des PME, s’est voulue rassurante vis-à-vis des PME qui redoutent d’être les grandes perdantes des négociations commerciales.
La Ministre, ainsi qu’une large coalition des députés présents (excepté LFI, qui a exposé une motion de rejet à la loi, préférant travailler sur la réduction des marges des « gros industriels ») se sont prononcés en faveur d’un amendement. Celui-ci impose que les négociations se déroulent entre le 1er et le 31 décembre pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 350 millions d’euros (afin d’éviter que les négociations n’aboutissent sur un monopole des grands industriels).
Quels résultats attendus ?
Soyons honnêtes : si Bercy vise une baisse des prix sur la moitié des PGC début 2024, un certain nombre de voix s’élèvent, tantôt remettant en cause la méthode dans son ensemble, tantôt lui prédisant un faible résultat.
Les distributeurs annoncent déjà qu’une négociation plus courte (45 jours contre trois mois jusqu’à présent) risque d’être particulièrement intense. La plupart sont dans l’attente de la réception des conditions générales de vente des industriels avant de se positionner.
Enfin, c’est la question des marges qui ressurgit : les industriels, et notamment les PME, ne veulent pas être la variable d’ajustement des grandes enseignes face aux gros industriels dans cette guerre des prix. Alors que les entreprises n’en finissent plus d’investir pour le digital, la transition écologique et les compétences, elles se retrouvent prisent en étau en cette année 2023, d’autant que l’urgence est de rattraper le manque à gagner subi l’année précédente (la hausse des matières premières n’ayant pas été répercutée immédiatement, du fait des négociations commerciales annuelles).
Pour l’ABEA (Association Bretonne des Entreprises Agroalimentaires), ce raccourcissement des négociations, et sa concentration sur décembre, est une « fausse bonne idée » (Marie Kieffer, pour API). A cette date, les contrats d’énergie n’auront pas été reçus par les entreprises, qui n’auront donc pas une idée claire de l’intégralité des coûts à négocier.
Taux de marge des IAA, à partir des chiffres Insee
Ainsi, si la marge des industriels parait très importante à ce jour (« Ces derniers mois selon l’INSEE la hausse des prix s’explique à 35 % par le bon des matières premières et à 55 % par celui des marges des grands industriels », rappelait Jacques Creyssel), elle est en réalité un ajustement nécessaire à beaucoup d’entreprises. Il est donc peu sûr qu’elles acceptent de négocier si facilement leurs prix, a fortiori encore plus tôt qu’auparavant.