Élevage de ruminants : le remplacement des départs des éleveurs en question

Une récente étude du Ministère de l’agriculture s’intéresse à l’évolution de l’emploi dans les élevages de ruminants1. Dans un contexte de vieillissement de la population des agriculteurs, l’objectif de cette étude est d’apporter des éléments d’analyse et ainsi d’éclairer et d’objectiver les débats en cours afin de faire face à ce que l’on peut nommer le « choc de transmissions » d’ici 20302 ou le « mur du renouvellement » pour la filière laitière d’ici 20353.

En France comme en Bretagne, la tendance est à la diminution de l’emploi agricole depuis plusieurs décennies. Cette diminution est liée à la réduction de l’emploi familial (chefs d’exploitation et autre main d’œuvre familiale), même si celle-ci est partiellement compensée par la progression du salariat agricole, ainsi que par l’externalisation de travaux (notamment pour les travaux de cultures).

Le salariat se développe, mais reste minoritaire

Entre 2010 et 2020, années des deux derniers recensements agricoles, cette diminution de l’emploi agricole a été plus forte dans les exploitations avec ruminants (-20 %) que dans les autres (-9 %). Si la baisse n’a été que de 7 % dans les élevages ovins-caprins, elle atteint 27 % dans les élevages de bovins lait. Ceci est d’autant plus inquiétant que le taux de remplacement des départs dans la filière laitière française est particulièrement bas, avec 45 % des départs remplacés selon les travaux de l’Institut de l’élevage.

Néanmoins, le recours au salariat s’est largement développé dans les élevages de ruminants. En équivalent temps plein (ETP), tandis que le nombre de chefs d’exploitation y diminuait de 18 % entre 2010 et 2020, le nombre de salariés permanents non familiaux progressait de 15 %. En vaches laitières, l’emploi salarié a connu une hausse sur la période 2010-2015, avant la suppression des quotas, puis une stagnation à partir de la crise laitière de 2015-2016.

Malgré tout, le travail salarié reste minoritaire dans ces élevages de ruminants avec une part de 14 % du volume de travail total en 2020 (contre 47 % dans les autres exploitations) ; et cette part ne gagne que 3 points par rapport à 2010.

Les élevages de ruminants se caractérisent donc par une prédominance de l’emploi familial. Après une vague d’installations importante dans les années 1990 (suite à des actions publiques telles que l’aide à la cessation laitière dans le secteur bovin ou les dispositifs de préretraite), les départs sont par conséquent nombreux aujourd’hui. En bovins lait ou bovins viande, 50 % des éleveurs présents en 2018 devraient avoir arrêté leur activité d’ici 2027, soit en neuf ans, que ce soit pour un départ en retraite ou une cessation anticipée (Institut de l’élevage, 2021).

Un renouvellement des générations d’éleveurs qui prend des formes très diverses

La question du renouvellement de cette population est donc bien une question majeure. Mais au-delà des chiffres, se cache une réalité plus complexe avec une diversité dans les formes que prend ce renouvellement (profil des porteurs de projet, volumes de production, modèles de production…).

Cette diversité se fait notamment sur la temporalité des mouvements d’entrées-sorties : installations tardives, installations pour quelques années ou pour une carrière complète, départs précoces. Ainsi par exemple, parmi les installés depuis 2010, quasiment tous (93 %) s’installent avant l’âge de 40 ans en production de vaches laitières, alors qu’ils ne sont que 73 % en élevage d’ovins viande.

Cette diversité se fait également au moment de la transmission avec des choix productifs des porteurs de projet qui peuvent s’éloigner du profil des exploitations à reprendre. Ainsi, en production d’ovins viande, si le taux de remplacement des départs est très élevé (94 %), cela ne signifie pas que les volumes produits soient maintenus. Dans cette filière, la comparaison entre les installés avant ou après 2010 suggère en effet l’évolution vers des projets de plus petite taille : ainsi, la part de installés en micro-exploitation augmente (30 % avant 2010 et 24 % après 2010), ce qui est à relier avec la hausse des installations hors cadre familial (11 % avant 2010 et 42 % après) et la part des installés double-actifs augmente (18 % avant 2010 et 30 % après).

Pour répondre à l’enjeu du maintien des volumes de production et donc de souveraineté alimentaire, la disponibilité de la main d’œuvre n’est pas le seul facteur. Jusqu’à il y a peu, l’agrandissement des exploitations et les gains de productivité compensaient les effets sur les volumes de la baisse du nombre d’actifs. Le choix de certains éleveurs de privilégier des structures de taille plus modeste lors de leur installation ou de ne pas s’agrandir questionne donc ce levier d’adaptation. 

Pour en savoir plus

Elevages de ruminants : vers une pénurie de main d’œuvre ?, Notes et études socio-économiques (NESE) n°51, Décembre 2023, pp. 5-30, Centre d’Etudes et de prospective, Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

  1. Les résultats présentés ici sont issus d’une étude du CEP (Centre d’Etudes et de prospective) du MASA (Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire). Ils ont été publiés dans la note n°51 du NESE de décembre 2023. ↩︎
  2. Livre blanc du renouvellement des actifs en élevage bovin, ovin et caprin, CNE, Confédération Nationale de l’Elevage, 2023 ↩︎
  3. Compétitivité de la ferme France, Rapport d’information n°905, Sénat, 2021-2022 ↩︎

Rédigé par Anne Bertagnolio

Chargée de mission Economie - Emploi, référente sur l'emploi et la formation

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