Combien coûte l’amélioration du bien-être animal ?

Il y a deux ans, l’Allemagne annonçait son intention d’investir massivement afin d’améliorer le bien-être animal dans ses élevages, porcins en particulier. 1 milliard d’euros étaient prévus.

Le coût du bien-être animal : 3,6 milliards d’euros par an

Deux ans plus tard, la Commission européenne a donné son accord à ce projet. Elle estime que ces aides n’entraineront pas de distorsion de concurrence au sein du marché commun. De plus, elles correspondent parfaitement à l’esprit de sa stratégie « de la fourche à la fourchette ». Sur les 1 milliard d’euros, 675 millions d’euros consisteront en des subventions directes. Celles-ci couvriront jusqu’à 60 % des investissements servant à améliorer les capacités de bien-être : accès à l’extérieur, système de refroidissement, limitation de la densité du bétail, limitation des émissions de CO2. 325 millions d’euros financeront des dispositifs de soutien au bien-être encore plus poussés : fourrage et litière supplémentaire, ventilation et refroidissement.

Ce milliard d’euros proviendra du budget fédéral et sera utilisé sur une période allant jusqu’à 2031. D’après les estimations de spécialistes allemands, ce budget demeure très insuffisant par rapport au coût réel des investissements nécessaires. La fourchette haute évoque un besoin de 3,6 milliards d’euros par an pour l’ensemble des filières animales. Pour combler la différence, le ministre allemand de l’agriculture imagine la création d’une taxe sur la viande d’un montant de 40 centimes du kilogramme. Cela soulève des questions d’ordre juridique mais l’idée est lancée.

La dialectique du progrès

Cet exemple allemand du bien-être animal rejoint sur le fond d’autres enjeux auxquels l’agriculture européenne est confrontée : usage des produits phytosanitaires, biodiversité, préservation du paysage et des sols, pollutions. Toute évolution vers des pratiques plus vertueuses a un coût.

Au sortir de la deuxième guerre mondiale, les progrès dans les domaines de la génétique, de la chimie et de la mécanisation ont permis à l’agriculture française et européenne d’améliorer considérablement sa productivité. Ce qui a permis aux consommateurs européens d’accéder à une alimentation en quantité, en qualité et bon marché.

Des rendements multipliés par trois au cours des cinquante dernières années pour les céréales la production laitière

Comme souvent, tout progrès génère des effets indésirables. Dans le cas de l’agriculture, cet accroissement spectaculaire des rendements a engendré une pression accrue sur l’environnement : paysage, eau, biodiversité etc. Des mesures ont déjà été prises depuis pour limiter ces dommages collatéraux. Par exemple, la liste des produits phytosanitaires interdits s’allonge d’année après année en lien avec la prise de conscience des risques qu’ils font peser sur la santé humaine ou celle des êtres vivants.

Toutes ces mesures visant à contrecarrer les conséquences négatives de l’intensification de l’agriculture ont des conséquences pratiques. Soit sous la forme de travail supplémentaire, soit d’investissements supplémentaires, de charges plus élevées et/ou de baisse des volumes. L’exemple du bien-être animal en Allemagne le montre. L’agriculture biologique, développée en réaction à cette intensification, permet d’évaluer les conséquences qu’aurait un abandon des produits chimiques de synthèse pour l’ensemble de l’agriculture. Les volumes de production seraient très largement amputés, les prix augmentant d’autant.

Dès lors, la question est de savoir dans quelles conditions et jusqu’où (et donc à quel prix) la société est prête à atténuer les conséquences jugées néfastes des progrès techniques ?

L’évidence de la réciprocité

Toute mesure visant à réduire l’usage des produits phytosanitaires, geler des surfaces afin d’améliorer la biodiversité, limiter les différentes pollutions ou encore améliorer le bien-être animal représentent des surcoûts pour les agriculteurs et leurs filières. Si un pays ou en l’occurrence l’Union européenne décide d’avancer sur ce chemin, le risque est que d’autres régions du monde ne la suivent pas et bénéficient donc d’un avantage comparatif. « N’importons pas ce que l’on interdit chez nous » est un slogan qui paraît évident mais qui n’est pourtant pas appliqué par l’Union européenne. Celle-ci ne se préoccupe que de la qualité du produit fini importé et n’inclut pas dans ses accords commerciaux de clauses contraignantes sur la façon dont il a été produit.

Sans clauses miroirs, c’est-à-dire sans réciprocité, toute avancée dans ces domaines se traduirait par un recul de la production européenne et des importations supplémentaires. Soit une délocalisation des problèmes ailleurs ! Dans le cas cité plus haut du bien-être animal en Allemagne, le gouvernement a décidé de subventionner directement ses éleveurs pour compenser le surcoût et ne pas les défavoriser par rapport à leurs voisins. Ce pays va cependant très certainement pousser l’UE à suivre son exemple. Il est en effet difficilement envisageable d’avoir durablement plusieurs normes de production au sein du marché commun.

Jusqu’à 50 % plus cher

Pour en revenir plus spécifiquement à l’enjeu du bien-être animal, une étude réalisée récemment par FranceAgriMer et intitulée  » Évaluation des coûts de production des porcs et des poulets de chair sous cahiers des charges « bien-être animal » et de leurs modalités de valorisation «  donne justement une idée du surcoût de ses démarches.

Les auteurs s’intéressent aux démarches de bien-être animal aux Pays-Bas, au Danemark et en Allemagne. Chez ce dernier, il existe quatre niveaux de bien-être dont voici les principales caractéristiques :

Voici les résultats du calcul des coûts pour les productions porcines et de poulet :

Haltungsform 2 = élevage à l’intérieur « plus », Haltungsform 3 = accès à l’air libre, Haltungsform 4 = premium, Neuland = premium +

Haltungsform 2 = élevage à l’intérieur « plus », Haltungsform 3 = accès à l’air libre, Haltungsform 4 = premium, Neuland = premium +

Il en ressort qu’en porc, le niveau 4 de bien-être (Haltungsform 4) est 14 % plus cher à produire (211 €/porc vendu contre 186 € en niveau de base). Pour la production de poulet, la différence est plus importante : le niveau 4 est 47 % plus cher que le standard 3,03 €/poulet contre 2,06 € en standard). Cela explique peut-être pourquoi l’Allemagne met d’abord l’accent sur la production porcine.

L’amélioration du bien-être animal peut donc représenter un coût non négligeable, qu’il soit pris en charge directement par les consommateurs ou indirectement par des subventions (option généralement préférée en Europe). Une évolution dans ce sens est donc engageante et structurante. Elle ne saurait être remise en cause facilement en cas de crise du pouvoir d’achat par exemple.

Rédigé par Arnaud Haye

Chargé de mission Economie - Emploi, référent sur les filières viande bovine, porc et volailles de chair

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