Lactalis réduit sa collecte : quelles conséquences pour la Bretagne ?

Lactalis a annoncé un plan de réduction de sa collecte de 450 millions de litres à l’horizon 2030. Cette annonce, au-delà des conséquences directes pour les éleveurs concernés par les premières annonces d’arrêt de collecte, constitue aussi une preuve que les entreprises laitières restent en position de force dans les négociations avec les producteurs, malgré la baisse de l’offre.

Un choc. C’est l’effet qu’a produit l’annonce de Lactalis, ce 26 septembre 2024, de réduire sa collecte de 450 millions de litres de lait à l’horizon 2030. Cela correspond à 8,8 % du volume actuel collecté par le géant laitier.

Lactalis a donné quelques détails du plan de réduction de sa collecte :

  • 270 producteurs sont concernés par un arrêt de la collecte dès 2026 : environ 150 dans l’est de la France (principalement de l’OP Association des Producteurs de Lait Lactalis du Grand Est (APLLAGE)), et environ 120 autour de la Vendée (principalement de l’OP APLBL). Cela représente 155 millions de litres.
  • 238 producteurs d’Unicoolait, coopérative de Moselle dont Lactalis est le seul client, sont concernés par un arrêt de la collecte à l’horizon 2030. Cela représente 160 millions de litres.

Il reste donc encore 135 millions de litres concernés par ce plan de réduction et pour lesquels aucune information n’a été donnée à l’heure actuelle.

Pour une meilleure valorisation du lait selon Lactalis

Cette annonce fait suite au conflit qui a opposé Lactalis et l’Unell durant l’automne-hiver 2023-24 sur le prix payé aux producteurs laitiers de l’association d’organisations de producteurs. En raison, une chute des cotations beurre-poudre sur les marchés internationaux. L’entreprise était particulièrement affectée par cette tendance à la baisse, puisque la part du lait valorisé en beurre-poudre est de 30 % pour Lactalis, selon la formule de prix liant l’entreprise à l’Unell. A titre de comparaison, pour Sodiaal, cette part représente 15 % de la valorisation totale.

Par ailleurs, Lactalis dénonçait alors la hausse des coûts de transformation, qui auraient doublé depuis 2011, et qui n’est pas prise en compte dans le calcul de l’indicateur beurre-poudre du Cniel. Une proposition a été faite par l’entreprise pour que cette hausse des coûts soit prise en compte, mais elle avait été rejetée par l’interprofession. D’ailleurs, aucune résolution n’a été trouvée à l’heure actuelle concernant l’indicateur beurre-poudre, la publication du Cniel étant suspendue faute d’accord entre le collège des producteurs et le collège des transformateurs.

Lactalis justifie donc le plan de baisse de collecte afin de se concentrer sur une valorisation de sa production sur le marché national, et bénéficier ainsi d’une meilleure valorisation en réduisant la part allouée aux grand export valorisée selon les cotations beurre-poudre. Ainsi Jean-Marc Bernier, directeur général de Lactalis France, a déclaré :

Ces excédents deviennent de la poudre de lait vendue sur un marché de plus en plus déprécié et soumis à des cotations internationales fluctuantes. Notre difficulté, c’est qu’à partir du moment où vous êtes sur des marchés extrêmement mal valorisés, vous limitez votre capacité à mieux rémunérer vos producteurs.

Des agriculteurs bretons bio concernés par un arrêt de collecte

Si la Bretagne n’est, pour l’instant, pas ciblée par le plan de réduction de collecte en conventionnel, l’annonce de ce plan a été, quelques jours plus tard, suivie d’une annonce d’arrêt de collecte en bio pour 26 producteurs laitiers bretons. Plus précisément, cette décision aurait été prise suite à un arrêt d’un contrat de collecte passé avec un autre groupe laitier. Il n’y a donc pas de lien direct avec le plan de réduction de la collecte de Lactalis, l’entreprise laitière ayant d’ailleurs proposé aux producteurs de continuer à les collecter, mais en conventionnel à partir de fin 2026.

Le site le plus proche de transformation en bio se situe en effet à Retiers, trop éloigné de ces 26 producteurs situés en Finistère, Côtes-d’Armor et Morbihan. C’est en partie sur cette même logique que reposeraient les décisions d’arrêt de collecte, Lactalis se séparant notamment de zones de collecte les moins denses et plus éloignées des sites de transformation, dans une logique d’optimisation des coûts.

Quel risque pour les éleveurs laitiers bretons à l’avenir ?

Ces deux évènements pris ensemble posent un certain nombre de questions quant à l’avenir de la production laitière bretonne.

  • En premier lieu, existe-t-il un risque pour que des éleveurs bretons figurent parmi les 135 millions de litres du plan de réduction de collecte pour lesquels aucune décision n’a encore été prise ? La carte ci-dessus peut apporter des éléments de réponse. Y figurent, en bleu, les sites de transformation de Lactalis présents dans la région. L’entreprise est ainsi particulièrement présente sur le bassin brétillien et dispose, par ailleurs, de sites ayant une position centrale en Bretagne avec les Sociétés Fromagère et Laitière de Pontivy. Par ailleurs, la Bretagne représente à elle-seule au moins 1/5e de la collecte nationale de Lactalis, de même que l’entreprise laitière représente au moins 1/5e de la collecte régionale. La région ne représente donc pas un bassin de collecte peu dense, ce qui réduit les risques d’un arrêt de collecte pour les éleveurs bretons.
  • Quoi qu’il en soit, ce manque de 135 millions de litres dans le plan de réduction de la collecte peut constituer un levier de négociation pour l’entreprise vis-à-vis des organisations de producteurs qui vivent désormais sous la menace de voir leur contrat s’arrêter.
  • Plus globalement ce plan inverse la tendance actuelle concernant les rapports de force entre producteurs et transformateurs. Depuis plusieurs années, avec la décapitalisation du cheptel laitier (-10,6 % de vaches laitières en cinq ans en Bretagne) et l’enjeu du renouvellement des générations (moins d’un départ sur trois est remplacé en élevage laitier), le rapport de force semblait évoluer en faveur des producteurs, les transformateurs ayant pour enjeu majeur de sécuriser leurs approvisionnements. Cette annonce est un douloureux rappel à la réalité du déséquilibre de leur position au sein de la filière.
  • Enfin, si l’hypothèse d’un arrêt de contrat de collecte entre deux groupes laitiers est confirmée concernant les 26 éleveurs laitiers bio, cela pose question quant à la pérennité de ces contrats, et les conséquences pour les producteurs. Si ces contrats peuvent être décriés par la profession agricole et font l’objet d’une enquête de l’Autorité de la concurrence, un arrêt soudain de ces contrats de collecte peut aussi avoir des conséquences importantes pour les exploitations concernées, comme c’est le cas pour ces 26 éleveurs qui doivent trouver en urgence des repreneurs pour leur lait bio, au risque de devoir se déconvertir si aucune solution n’est trouvée.

Rédigé par Olivier Carvin

Chargé de mission Economie - Emploi, référent sur la filière laitière Docteur en économie de l'agroenvironnement. Breton d'adoption. Je mets mes compétences en analyse économique au service de la filière laitière bretonne. Je suis aussi le M. Diffusion de l'équipe.

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