Lactalis – Unell : les raisons du conflit
Depuis six mois, des tensions grandissantes sont apparues entre Lactalis et l’Association d’Organisations de Producteurs (AOP) Unell. Ce conflit est directement lié à la stratégie de Lactalis, fortement orientée vers l’export, et qui fait les frais d’un recul important des cours des commodités laitières sur les marchés mondiaux. C’est le soubresaut de trop pour les producteurs, qui souhaitent avoir l’assurance d’une plus grande stabilité dans le prix du lait.
Dès le 6 décembre 2023, la Fédération Nationale des Producteurs de Lait (FNPL) avait alerté, dans un communiqué, sur « les signaux prix envoyés par certaines des plus grosses entreprises privées du secteur laitier ». Si Lactalis n’est pas explicitement nommée, c’est bien cette entreprise qui est ciblée dans ce communiqué. En effet, les tensions sont de plus en plus grandes entre l’entreprise et l’Unell, qui représente environ 60 % des fournisseurs de Lactalis.
Les premières tensions à l’été 2023
Pour comprendre le conflit qui oppose les deux parties, il faut remonter à juillet 2023. A l’époque, l’Unell activait la clause de sauvegarde qui permet de rouvrir les concertations entre les deux parties sur l’évolution du prix. La raison à cela : à cette période, les cours beurre-poudre ont fortement baissé (-17 % pour la cotation de beurre européen entre le 1er janvier 2023 et le 1er juillet 2023), ce qui amenait le prix payé aux producteurs à 401 €/1 000 litres selon la formule indiquée dans l’accord-cadre. Lactalis avait proposé une valorisation supplémentaire de 15 €, soit un total de 416 €/1 000 litres, proposition refusée par les producteurs.
L’Unell avait fait appel au médiateur des relations commerciales agricoles dès le mois d’août, ce qui avait permis à un accord sur le prix pour l’ensemble de l’année 2023. Cet accord impliquait une reconduction du prix du 2ème trimestre pour le 3ème trimestre (à 425 €/1 000 litres), puis à une baisse pour le dernier trimestre. Au total, le prix moyen négocié pour 2023 a été de 9 € supérieur à celui de 2022, tandis que Lactalis souhaitait, à l’origine, que le prix moyen 2023 soit identique à celui de 2022. Malgré cette avancée, l’Unell regrettait déjà que le prix pour le dernier trimestre ne corresponde pas « aux besoins des éleveurs ».
Les raisons du conflit actuel
Le 3 janvier 2024, les deux parties se sont réunies afin d’aboutir à un accord. Faute d’y parvenir, le prix de décembre, d’un montant de 405 €/1 000 litres (prix 38-32), a été reconduit à janvier. Cependant, l’Unell précise qu’elle n’a « ni acté ni validé » cette décision. En plus du différend sur le prix du lait apparu l’an dernier, de nouveaux désaccords opposent désormais le transformateur et les producteurs :
- La revalorisation du prix de revient inscrit dans les conditions générales de vente pour 2024 du groupe Lactalis auprès de la grande distribution. L’Unell demande une hausse de 5 %, tandis que Lactalis reste sur une hausse de 1 % seulement.
- L’élargissement de la prise en compte du prix de revient dans le calcul du prix du lait. Aujourd’hui, le prix de revient détermine 50 % du lait valorisé en Produits de Grande Consommation (PGC), soit 25 % du prix total du lait, car 50 % du lait est valorisé en PGC. L’indicateur de Prix de Vente sortie Usine (indice PVI de l’Insee) constitue l’autre moitié de la valorisation PGC. Selon l’Unell, avec Egalim 2, le prix de revient devrait représenter 100 % du prix du lait valorisé en PGC, soit 50 % du prix total du lait.
- La revalorisation de l’indicateur beurre-poudre. Cet indicateur correspond à 30 % de la formule du prix négocié entre l’Unell et Lactalis. Selon l’entreprise, le coût de transformation aurait doublé depuis 2011 et ce coût doit être pris en compte dans la valeur de l’indicateur. Toutefois, le Cniel n’a pas validé cette proposition. A la place, l’Unell propose un système de pivot lié à l’écart entre la valorisation beurre-poudre et le prix de revient, afin d’amortir, pour les éleveurs, les impacts de la volatilité de cet indicateur. En effet, l’Unell dénonce le fait que le risque pris par la stratégie exportatrice de Lactalis est aujourd’hui à 100 % supporté par les producteurs.
Le calcul de l’indicateur beurre-poudre avait déjà fait l’objet de longues discussions il y a un an.
Une ouverture du dialogue ?
Pour l’Unell, ce conflit est représentatif d’une position de Lactalis que l’AOP dénonce depuis deux ans. En effet, de 2019 à 2022, Lactalis s’est reposé sur une clause « environnement » afin d’ajuster à la baisse un prix qui était supérieur au prix moyen de la laiterie France. Depuis la mise en œuvre d’Egalim 2, qui interdit les clauses environnement, le prix de la formule est bien en dessous du prix moyen de la laiterie France, et Lactalis n’a jamais accepté d’ajustements importants afin de se rapprocher du prix moyen.
Afin « de trouver un juste équilibre sur le prix du lait », Lactalis a saisi le médiateur le 11 janvier. L’Unell n’accepte pas les termes de la discussion et a saisi, à son tour, le médiateur afin de discuter des modalités de détermination du prix « durables dans le temps », c’est-à-dire travailler sur la formule de prix. Toutefois, dans cette saisie de Lactalis, l’Unell y voit un changement d’esprit du transformateur qui, jusque-là, semblait fermé à toute discussion. Lactalis a d’ailleurs accepté la médiation proposée par l’Unell, et une première rencontre aura lieu fin janvier.
Cette médiation représente donc l’opportunité d’un réel dialogue entre les deux parties, alors que de nombreuses mobilisations ont eu lieu ces derniers jours devant les usines de Lactalis ainsi que son siège à Laval, suite à l’appel conjoint de la FNSEA et des JA.
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