Lactalis et Biolait : deux visions opposées

Du côté des industries agroalimentaires, avril est le mois des communications sur les bilans et les orientations stratégiques. Dans la filière laitière, deux annonces en particulier ont fait du bruit. Lactalis vise une baisse de sa collecte nationale, tandis que Biolait a pour objectif de doubler le nombre de producteurs. Deux visions de l’avenir de la production laitière qui s’opposent.

Le début de l’année 2024 a été marque par un conflit opposant Lactalis à l’Unell, l’AOP des producteurs du géant industriel :

En raison notamment, le mix produit de Lactalis qui sert de référence à la formule de prix dans l’accord-cadre conclu avec l’Unell : 50 % de produits de grande consommation (PGC) pour le marché français,
20 % de PGC pour l’export et 30 % de produits industriels.

Après plusieurs années de croissance externe (trois acquisitions à l’international sur la seule année 2023), Lactalis souhaite désormais se recentrer sur la valorisation de sa production. L’objectif est ainsi de faire reculer la part des produits industriels dans le mix-produit. Ceci est brandit comme un argument en faveur des éleveurs, car la valorisation des produits industriels dépasse à peine les 300 €/1 000 litres. Un autre argument indiqué par le géant laitier est la contrainte de plus en plus grande exercée par les lois Egalim, qui obligeraient Lactalis à rémunérer les producteurs selon le coût de production, ce qui ne permet pas à l’industriel d’être compétitif sur les marchés des produits industriels.

Réduire en volume pour mieux valoriser

Pour parvenir à atteindre l’évolution du mix-produit souhaité, l’industriel  a donc pour objectif de réduire sa collecte nationale dans les années à venir, passant de 5 milliards de tonnes à 4,55 milliards de tonnes, soit une réduction de 9 %. Toutefois, l’échéance pour y parvenir n’a pas été indiquée.

Déjà, en 2023, Lactalis annonce un recul de sa collecte française de 3,8 %/2022. Une situation qui n’est pas surprenante, puisque l’ensemble de la collecte française a connu un repli de 2,7 %/2022 (le recul est de 3,5 %/2022 en Bretagne). Sodiaal, 2e transformateur laitier de France, annonce par ailleurs qu’aujourd’hui moins d’un départ sur deux est remplacé au sein de la coopérative.

Au vu de ces tendances de collectes à la baisse dans les principaux bassins de production français, l’impact de cette stratégie de Lactalis sur les volumes des autres transformateurs laitiers devrait donc rester négligeable. En effet, si ces tendances se poursuivent, le recul de la collecte devrait être similaire chez les autres transformateurs laitiers.

La collecte laitière recule 3,5 % en Bretagne en 2023 par rapport à 2022

La surprise de l’annonce provient donc plus du fait que ce recul est affiché comme une orientation stratégique. Un choix donc, et non un risque à éviter.

Biolait à contre-courant

L’année 2023 a été morose pour le lait bio. La collecte bio a reculé de 4,5 % en France (de 4,6 % en Bretagne), conséquence d’un arrêt des certifications hors installations depuis l’automne 2021. Ainsi, le nombre de points de collecte en bio baisse de 3,7 % entre mars 2023 et mars 2024 en France, soit 156 points de collecte en moins. Alors que la consommation semblait revenir progressivement vers une stagnation, l’année 2024 commence par une chute libre, à nouveau, de la consommation du bio en GMS. Tous produits de grande consommation confondus, les volumes de produits laitiers vendus en bio reculent ainsi de 13,1 % en janvier 2024 par rapport à janvier 2023 en GMS, soit un recul encore plus important que la baisse de l’offre bio dans ces mêmes surfaces (-11,9 %).  

C’est dans ce contexte économiquement difficile que Biolait a annoncé vouloir multiplier par deux le nombre de fermes Biolait d’ici 2050, soit 1200 fermes de plus qu’aujourd’hui. Une annonce à contre-courant de la dynamique laitière actuelle, que ça soit en bio ou en conventionnel, qui interroge donc sur son réalisme. Cependant, l’objectif d’une telle annonce est en réalité politique. Les conditions annoncées par Biolait pour atteindre cet objectif sont en effet « la mise en place d’une politique d’amélioration des conditions d’accompagnement de la filière laitière bio, de l’amont à l’aval. »

Des messages politiques

Ces deux exemples illustrent bien le fait que, derrière les orientations stratégiques annoncées par les grands acteurs de la collecte et de la transformation laitière, ce sont des messages politiques qui sont portés. Le positionnement de Lactalis contre un prix du lait basé sur le coût de production d’une part, la demande de Biolait pour un plus grand soutien de la filière bio d’autre part. C’est bien sous cet angle-là qu’il faut lire les annonces en termes de projection sur les volumes de production.

Rédigé par Olivier Carvin

Chargé de mission Economie - Emploi, référent sur la filière laitière Docteur en économie de l'agroenvironnement. Breton d'adoption. Je mets mes compétences en analyse économique au service de la filière laitière bretonne. Je suis aussi le M. Diffusion de l'équipe.

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