

Lactalis et Egalim, un amour vache
Suite à son annonce de réduction de sa collecte, Lactalis a été auditionnée en décembre 2024 par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale. Cette audition s’inscrivait dans le cadre d’un travail d’évaluation de la loi Egalim 2. L’occasion, pour Jean-Marc Bernier, Directeur Général de Lactalis France, de questionner l’ambition politique de la France en matière d’agriculture et d’agroalimentaire. Et de faire porter le poids de la responsabilité du plan de réduction de la collecte de Lactalis à Egalim.
Une délocalisation programmée ? C’est par ces mots qu’Aurélie Trouvé, présidente de la Commission, questionne la stratégie de Lactalis, qui réduirait sa collecte en France et augmenterait sa production hors France dans le but de se rapprocher des bassins de consommation.
A cela, Jean-Marc Bernier répond que Lactalis n’est pas une multinationale, mais une entreprise multi-locale. Si M. Bernier met en avant la France comme premier bassin de production de l’entreprise, elle ne représente aujourd’hui que 25 % de la collecte totale de Lactalis, et cette part diminuera avec le plan de réduction. Quant aux importations, elles ne concerneraient qu’une faible part du beurre proposé dans les Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) françaises, et le recours à l’importation s’explique par la saisonnalité de la production.

Durant l’audition, Jean-Marc Bernier a pu détailler l’ensemble des raisons qui ont entrainé le choix de réduire la collecte française de Lactalis.
Un marché intérieur en baisse structurelle
Lactalis évoque un recul structurel du marché français, en particulier de 2 à 3 %/an côté Grandes et Moyennes Surfaces (GMS). S’il est vrai que, globalement, le marché de la GMS est amené à se contracter pour des raisons structurelles (réduction de la taille des ménages, vieillissement de la population, temps consacré à la cuisine qui se réduit donc concurrence de la Restauration Hors Domicile…), ce n’est pas nécessairement le cas pour tous les produits. Ainsi, passé la période inflationniste, la plupart des produits laitiers ont retrouvé la cote auprès des consommateurs français. Sur l’année 2024 par rapport à 2023, la consommation est en hausse sur tous les produits laitiers hors lait liquides, selon les données Circana-Cniel.

Ainsi, au global, la hausse de consommation est bien supérieure à la hausse de production en 2024, qui se situe autour de 1 %. On est loin du constat affiché par Jean-Michel Bernier : « une collecte qui augmente et des volumes qui baissent ».
Lactalis : l’opérateur le mieux placé pour réguler le secteur
Selon Jean-Marc Bernier, Lactalis serait le mieux placé pour réguler le secteur laitier français. Si on part du principe que le marché a besoin d’être régulé, alors Lactalis est bien le mieux placé. L’entreprise est en effet non seulement le premier collecteur Français, c’est aussi et surtout le premier exportateur de poudre.
Ainsi, 30 % de sa collecte est actuellement valorisée sous forme de poudres, contre 15 % pour le deuxième collecteur national, Sodiaal. Notons toutefois que ce raisonnement place la valorisation de la poudre comme étant la variable d’ajustement de la collecte. Cela n’a pas toujours été le cas. Il y a dix ans, juste avant la crise laitière européenne, les industriels poussaient à accroître la collecte afin de pouvoir inonder les marchés mondiaux de poudre et autres ingrédients laitiers. L’ouverture de Synutra à Carhaix est un symbole de cette stratégie.
Ainsi, les ingrédients laitiers sont passés d’opportunité de croissance à variable d’ajustement qu’il convient de réduire. La faute à des marchés insuffisamment porteurs depuis dix ans. La poudre de lait écrémé est en effet en moyenne valorisée autour de 2 500 €/tonne, soit environ 100 € de moins qu’une valorisation sur le marché intérieur. L’inflation qui a touché le marché de la poudre (la cotation poudre de lait écrémé a atteint un pic de 4 500 €/tonne sur le marché européen en 2022) n’a duré qu’un an, et la cotation a depuis retrouvé sa valeur moyenne. La consommation intérieure chinoise, toujours morose, ne permet pas d’être optimiste quant à l’avenir sur ces marchés.
Assumer les impacts d’Egalim
Enfin, Lactalis se targue d’avoir toujours respecté Egalim. L’entreprise serait en effet, selon les dires de M. Bernier, la première à avoir intégré les coûts de production dans la formule de prix. Par ailleurs, Lactalis a toujours achevé la négociation avec les producteurs avant la date butoir imposée, c’est-à-dire avant le début des négociations commerciales. Un seul report a eu lieu depuis 2019.
Néanmoins, tout en se félicitant de la hausse des prix aux producteurs imputée aux lois Egalim, Jean-Marc Bernier tient la loi pour responsable de ce plan de réduction de collecte. Avec la hausse des prix payés aux producteurs, le groupe laitier serait en effet dans l’incapacité d’être concurrentiel sur les marchés mondiaux. Ainsi, avec Egalim, la filière laitière française ne pourrait pas être forte et exportatrice.
Les agriculteurs toujours dans le flou
Une agence est mandatée, et co-financée par Lactalis et l’Unell, pour trouver des solutions pour tous les éleveurs concernés par des arrêts de collecte. A ce sujet, Lactalis a récemment annoncé que le préavis a été allongé, passant de douze mois à dix-huit mois, afin de laisser le temps à l’entreprise de trouver un repreneur pour l’ensemble des producteurs. Cet allongement du préavis est-il un signe de difficulté pour trouver des repreneurs ?
Ça pourrait être le cas. Car, comme l’a dit le député Richard Ramos (DEM) : avec ce plan de réduction de collecte, Lactalis fera peser à ses concurrents le prix de la surproduction laitière française. Vu sous cet angle, il n’est pas étonnant que les potentiels repreneurs ne se bousculent pas.