Les éleveurs, grands perdants du prix du lait ?
Fin novembre, la Fondation pour la Nature et l’Homme a publié un rapport de recherche coréalisé avec le bureau d’études Basic. Ce rapport analyse la création et la répartition de la valeur tout au long de la chaîne de valeur du lait. Les résultats présentés ont fait mouche. Selon ce rapport, les éleveurs auraient en effet vu leurs revenus diminuer sur les 20 dernières années alors que, dans le même temps, les distributeurs et les industries agroalimentaires (IAA) auraient largement accru leurs bénéfices. Cependant, les résultats de cette étude sont à prendre avec précaution…
Les blocages à la transition agroécologique
C’est en cherchant à comprendre les blocages à la transition agroécologique que la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) a réalisé une étude sur la structuration de la filière laitière. La FNH part en effet du principe que des éleveurs ayant un revenu inférieur au salaire médian, des conditions de travail difficiles, et étant fortement endettés, ne sont pas dans des bonnes conditions pour réaliser la transition agroécologique.
Pour appuyer cette hypothèse, la FNH a réalisé, dans un premier temps, un état des lieux sur le partage de la valeur entre les différents maillons de la filière. La fondation s’appuie en particulier sur les données de bénéfices des distributeurs et des industriels d’une part, et les revenus des agriculteurs d’autre part. La FNH constate ainsi que les bénéfices des entreprises agroalimentaires laitières ont été multipliés par 1,55 entre 2018 et 2021, et ceux des distributeurs ont doublé sur la même période pour les rayons des produits laitiers.
Dès ce premier point, un bémol doit être apporté : le rapport compare cette évolution des bénéfices aux revenus des agriculteurs , inférieurs au Smic net horaire en moyenne. Ces résultats sont à prendre avec des pincettes, étant donné les difficultés méthodologiques de comparaison directe des revenus agricoles aux revenus des autres secteurs.
Décomposer le prix en marges brutes
Dans un second temps, la FNH s’appuie sur les données de l’Observatoire de la Formation des Prix et des Marges (OFPM), qui, pour chaque grande catégorie de produit alimentaire, mesure « les apports de valeur réalisés à chaque étape de leur élaboration ». Pour cela l’OFPM décompose le prix moyen au détail en plusieurs éléments (voir figure ci-dessous pour l’exemple du lait demi-écrémé UHT) : la part revenant à la TVA, un indicateur de marge brute au détail des GMS, un indicateur de marge brute industrie, et un indicateur de coût de la matière première du produit de grande consommation (PGC).
C’est sur ce dernier élément que se repose la FNH pour estimer l’évolution, sur 20 ans, de la marge brute revenant à l’éleveur. C’est ainsi qu’il serait démontré que l’éleveur, entre 2001 et 2022, aurait perdu 1 centime sur la marge brute lui revenant, alors que les distributeurs et les industriels auraient respectivement gagné 15 et 14 centimes sur cette même période.
Or, ces valeurs doivent être prises avec précaution. D’une part, il est nécessaire de comparer ces valeurs à celle de l’inflation générale. Sur ce point, le rapport indique que les hausses des marges brutes de l’aval sont bien supérieures à l’inflation. D’autre part, la marge brute n’est qu’une lecture très partielle de la rentabilité des activités, les charges de structure, ayant pu évoluer à la hausse sur les deux dernières décennies, n’étant pas décomptées dans cet indicateur. L’évolution de la marge nette serait une meilleure indication de l’évolution réelle de la rentabilité des activités.
Le prix éleveur ne correspond pas au coût de la matière première
Enfin, le prix du coût de la matière première ne correspond pas au prix payé à l’éleveur. Ainsi, le dernier rapport de l’OFPM indique : « L’indicateur de coût de la matière première du PGC a diminué de 4 centimes en 2022 par rapport à 2021. Le prix du lait payé au producteur a pourtant augmenté sur 2022. »
De même, Alessandra Kirsch, d’Agriculture Stratégies, relève et explique cette contradiction :
Le coût matière première du lait demi écrémé prend en compte :
Alessandra Kirsch – Directrice des études chez Agriculture Stratégies
– le prix d’achat payé au producteur
– le coût pour extraire la matière grasse et obtenir un coproduit (crème pour simplifier)
– le prix obtenu pour ces coproduits.
Ainsi, indique-t-elle, le coût de la matière première prend aussi en compte le bénéfice réalisé de la vente de la crème et du beurre obtenus par écrémage du lait (voir figure de l’OFPM ci-dessous). Or, en 2022, les cours du beurre et de la crème étaient au plus haut. Dès lors, l’écrémage rapportait plus qu’il ne coûtait à l’industriel. C’est pour cela que sur cette année le coût de la matière première pour le lait UHT ½ écrémé diminue. Au contraire, on constate bien une hausse du prix payé au producteur en 2022.
Cet exemple montre qu’il est nécessaire de faire attention aux interprétations de chiffres. Et s’il est important d’exiger une juste rémunération des éleveurs, il ne faut pas tordre la réalité pour autant. Par ailleurs, pour en revenir à l’hypothèse de départ, nous pouvons nous questionner sur le lien qui est fait – sans réelle démonstration – entre évolution du revenu des éleveurs et transition agroécologique.
Juste pour rigoler un peu : rédiger un article qui fait un parallèle entre l’évolution du prix du lait payé aux producteurs, le prix payé par le consommateur, et l’inflation sur une période de 30-40 ans…
À publier ensuite dans tous les médias possibles!!!