Les jeunes bovins croisés à contre-courant
Contrairement à la production régionale de gros bovins, l’engraissement de jeunes bovins croisés se développe depuis quelques années en Bretagne. Répondant bien à la demande des consommateurs et offrant un débouché possible aux jeunes veaux laitiers, cette filière possède de belles perspectives. Le facteur limitant sera cependant les éleveurs eux-mêmes, tant pour l’élevage de ces animaux que pour le naissage des veaux adéquats.
La Bretagne est entrée dans un cycle de décapitalisation de ses cheptels bovins. Les conséquences s’en font ressentir sur la production depuis 2022.
Une exception qui confirme la règle
Quasiment l’ensemble des bovins est concerné par ce déclin à l’exception des génisses, et plus particulièrement des génisses croisées, ainsi que des mâles croisés. Les chiffres de l’EdE du Grand Ouest indiquent une augmentation du nombre de ces animaux produits en Bretagne ces dernières années.
Source : Infocentre des EdE du Grand Ouest
Derrière cette évolution se trouvent des acteurs qui croient aux atouts de ces bovins et s’emploient au développement d’une filière d’engraissement de ces animaux.
Des bovins adaptés à la demande
Ainsi dès 2015, Cooperl met en place une filière de génisses issues de troupeaux laitiers et croisés avec un taureau de race Bleu Blanc Belge. Quelques années plus tard, en 2020, le géant finistérien Bigard embraye en lançant une filière d’engraissement de génisses et de bœufs croisés, issus d’une mère Prim’Holstein et d’un taureau Limousin. Des essais à la station expérimentale de Mauron avaient testé sa faisabilité.
Une démarche très cadrée
Antony Jégouic, responsable de la filière bovine chez Cooperl, explique qu’en lançant sa filière d’engraissement de bovins, la coopérative costarmoricaine ambitionnait d’appliquer son expérience en production porcine. C’est-à-dire, d’une part, de copier ses méthodes d’élevage : suivi technique pointu, mise en place d’objectifs chiffrés etc. D’autre part, de maîtriser l’ensemble de la filière conformément à la stratégie de l’entreprise. Cooperl achète des jeunes veaux femelles croisées à des marchands de bestiaux puis va suivre l’animal jusqu’à la vente du produit final.
Pour ce faire, Cooperl possède son propre atelier de sevrage où les veaux vont être élevés pendant huit semaines. Puis les animaux vont être engraissés chez des éleveurs adhérents de la coopérative jusqu’à leurs abattages à environ 15 mois et 625 kg de poids vif. Ils partent ensuite pour l’abattoir du groupe situé à Saint-Maixent dans les Deux-Sèvres. Ces animaux sont notamment achetés par deux clients : Moy Park, qui approvisionne McDonald’s France, et Carrefour.
Monsieur Jégouic précise que les éleveurs engraisseurs peuvent bénéficier de deux types de contrats : un de type façonnage où l’éleveur fournit bâtiments et fourrages mais tout le reste est pris en charge par la coopérative. Un autre de type propriétaire engraisseur : l’éleveur achète les animaux et son aliment.
Dominique Guineheux, directeur des achats de bovins du Groupe Bigard, détaille une organisation assez semblable pour son entreprise. La différence est que le sevrage des veaux se fait chez des éleveurs et non en propre. Par ailleurs, Bigard ne propose aux éleveurs que des contrats de type façonnage. La dernière différence est que ces animaux n’ont pas de débouchés cibles.
Un potentiel de développement important
Monsieur Guineheux rappelle que cette filière a débuté au sein de son groupe il y a quatre ans. Aujourd’hui, entre 150 et 200 veaux par semaine sont mis en place par Bigard, majoritairement des femelles et essentiellement en Bretagne. Cela représente donc aux alentours de 9 000 jeunes bovins croisés pas an. Le groupe finistérien ne se donne pas de limite de développement mais compte bien poursuivre la croissance. D’après Monsieur Guineheux, un facteur limitant est la disponibilité de veaux croisés. Les éleveurs laitiers doivent en effet entreprendre la démarche de croiser leurs animaux, de préférence en faisant du sexage pour avoir plus de femelles. Cela représente un travail qui s’ajoute à leur activité laitière.
Quant à Cooperl, le groupe met en place actuellement 100 génisses croisées par semaine, toutes en Bretagne, soit environ 5 000 par an. Son objectif est d’atteindre le chiffre de 500 par semaine en 2030, preuve de la confiance du groupe dans la pertinence de cette filière. Monsieur Jégouic mentionne la recherche d’éleveurs engraisseurs comme étant un facteur limitant dans cette croissance.
On le voit donc, l’engraissement de jeunes bovins croisés s’accroit, à contre-courant de la production bovine régionale. Avec 41 000 jeunes bovins croisés produits en 2023 sur un total de plus de 300 000 gros bovins produits dans la région, cette augmentation ne pourra pas compenser les effets de la décapitalisation mais peut en atténuer les effets si elle s’appuie sur des veaux nourrissons qui auraient autrement été exportés.
Un impact pour la production laitière
Cette filière présente donc un intérêt pour les abatteurs, les consommateurs et les éleveurs y compris laitiers car le devenir de leurs veaux nourrissons est problématique. En effet, la production de veaux de boucherie est déclinante et les veaux nourrissons exportés vers d’autres pays européens sont menacés par une évolution potentielle de la réglementation bien-être. L’engraissement de jeunes bovins représente une bonne option face à ces enjeux, tout en permettant de générer davantage de valeur ajoutée que l’exportation.