L’élevage interrogé de toute part
Bovins laitiers et allaitants, volailles, porcs… toutes les filières principales d’élevage sont concernées par un recul des cheptels depuis bientôt deux ans en Bretagne, et en France dans une moindre mesure. Lors du dernier rendez-vous économie-emploi organisé par les Chambres d’agriculture de Bretagne simultanément dans les quatre départements bretons, un état des lieux de la situation a été établi, en Bretagne dans un 1er temps, puis en France avec la présentation, par Marine Raffray, du rapport de Chambres d’agriculture France « Regards d’avenir sur l’élevage en France ». L’occasion, pour les élus et les invités, d’échanger sur les diagnostics et les pistes d’actions pour faire face à ce recul de l’élevage.
L’élevage, une ressource indispensable
Le diagnostic est sans appel, bien que les filières d’élevages représentent une part importante de la production agricole bretonne, celles-ci régressent et la région se céréalise. Face à ce constat, il est apparu nécessaire de rappeler l’importance des productions animales relativement aux cultures.
Notamment, les filières animales sont créatrices d’emploi. C’est particulièrement le cas en France et en Bretagne, où le modèle dominant est celui de l’exploitation familiale, reposant largement sur le capital humain. Ainsi, une exploitation en filière animale génère en moyenne entre 1,9 (pour la filière viande bovine) et 11,1 emplois (pour la filière porcine), contre seulement 0,6 emploi en grandes cultures. Ces chiffres font apparaître, par ailleurs, l’importance de l’agriculture pour la subsistance de l’industrie agroalimentaire. Des menaces pèsent de plus en plus sur d’éventuelles fermetures d’abattoirs.
En outre, les filières animales sont garantes d’un système circulaire. En effet, sans élevage, les céréales sont produites avec de l’azote minéral, ce qui accroît considérablement les émissions de GES par rapport à l’azote organique. Or, dans un contexte de décarbonation de l’agriculture, il est nécessaire d’avoir une production de céréales bas-carbone. Par ailleurs, l’élevage permet de garantir une complémentarité avec la production de céréales en local, et donc de réduire la dépendance aux engrais, enjeu primordial dans un contexte inflationniste.
Voir au-delà de la conjoncture
Avant d’échanger sur les moyens d’action pour infléchir la dynamique actuelle, il est nécessaire de bien identifier les causes du recul de l’élevage en Bretagne et en France. Or, au-delà des causes conjoncturelles (hausses des charges, épizootie, etc.) qui ont particulièrement impacté les filières d’élevage depuis deux ans, il existe un ressenti partagé sur le fait que des causes structurelles sont à l’œuvre depuis plus longtemps.
En premier lieu, il apparait que les soutiens politiques ne sont pas assez importants en France, notamment lorsque l’on compare la situation avec d’autres pays comme l’Espagne ou le Brésil. Ainsi, la France est aujourd’hui en perte de compétitivité, ce qui se ressent sur les importations. Une autre étude de Chambres d’agriculture France, réalisée il y a trois ans, a révélé que la France, ayant des coûts de production plus élevés, s’est positionnée sur des segments à forte valeur ajoutée qui ne correspondaient pas nécessairement aux attentes des clients.
En outre, il y a une évolution du rapport au travail qui touche l’ensemble de la société française. Les nouvelles générations, en particulier, souhaitent un meilleur équilibre vie personnelle-vie professionnelle. Il y a des efforts à faire dans les exploitations pour organiser – et optimiser – le travail. Or, l’élevage souffre d’une mauvaise image sur la masse de travail qu’il implique, à laquelle s’ajoute une pression importante de la société civile sur l’agriculture.
Comment remédier à ce recul de l’élevage ?
Les échanges ont aussi portés sur les solutions à apporter pour que les filières d’élevage retrouvent leur croissance. Tout d’abord, plus de soutien politique et administratif est attendu. C’est le cas particulièrement en Bretagne, où la règlementation environnementale, et donc aussi la charge administrative, est plus lourde que dans le reste du pays depuis plusieurs décennies.
Pour autant, il n’est pas certain que le cas de l’Espagne, qui a vu notamment son cheptel porcin s’accroître de plus de neuf millions de têtes en dix ans, ni celui du Brésil, dont les exportations de viande bovine ont augmenté de 22 % en trois ans, soient des modèles à suivre. En effet, la durabilité de tels systèmes est aussi à interroger. En Espagne, un tel développement a impliqué une hausse conséquente des importations en matières premières nécessaires à la fabrication d’aliments pour animaux. Tandis qu’au Brésil, un choix politique a été fait d’orienter les subventions vers les exploitations les plus intensives en capitaux et en capacité de produire pour exporter.
En outre, il est nécessaire d’accompagner efficacement la nouvelle population de jeunes, non issus du milieu agricole, qui s’intéresse à l’élevage. Cette population est de plus en plus importante au sein des écoles d’agriculture. Pour cette population, souvent, la 1ère expérience est déterminante : elle peut être encourageante, ou au contraire rédhibitoire. Il devient alors primordial que les chefs d’exploitations acquièrent des compétences d’employeur. Par ailleurs, il faut faciliter l’accès à l’installation pour les jeunes non issus du milieu agricoles, souvent bloqués par le montant des capitaux nécessaires à une reprise. Là encore, l’Etat a un rôle à jouer sur les formes juridiques et le portage des capitaux afin de faciliter ces transmissions.
La nécessité d’une inflexion des politiques
Enfin, dans son étude, Chambres d’agriculture France a construit trois scénarii pour l’avenir de l’élevage en France (voir tableau ci-dessous). Ces scénarii ont fait réagir le public présent. En particulier, les représentants du monde agricoles présents n’envisagent pas la possibilité d’un scénario de rupture.En effet, il est en totale contradiction avec l’acceptabilité sociale actuelle de l’agriculture. Le scénario tendanciel, prolongement de la situation actuelle, est vu comme le scénario à éviter pour les filières d’élevage.
Ainsi, le scénario intermédiaire est le plus souhaitable des trois. Ce scénario nécessite une volonté politique forte, notamment concernant la sortie de l’élevage des accords de libre-échange. Or, à défaut de pouvoir le retirer des accords en cours, nous pouvons noter que l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, sur lequel se prononce le Parlement européen ce mardi 21 novembre, inclut bien les productions animales. Afin de sauver l’élevage breton et français de la déprise, une inflexion des politiques actuelles sera donc nécessaire.