Des viandes françaises concurrencées avant tout par nos voisins européens

Alors que la France devient de plus en plus dépendante des importations pour sa consommation de viandes, son solde agroalimentaire demeure positif grâce au secteur des vins et spiritueux. Si l’on exclut ce dernier, la France perd du terrain principalement aux dépens de ses concurrents européens. Ayant délégué une grande partie de sa souveraineté à l’échelon de l’Union européenne, la France n’a que peu de marge de manœuvre pour contrer cette tendance.

La France n’est désormais plus autosuffisante en viande bovine et en volaille, comme nous l’avons vu dans cet article.

Des aliments français qui trinquent

Cette perte d’indépendance alimentaire française est-elle spécifique aux viandes ou concerne-t-elle d’autres produits agricoles et agroalimentaires ? Une façon de répondre à cette question est d’observer l’évolution du solde commercial agroalimentaire français au cours de ces dernières années.

Il en ressort que celui-ci se maintient sur le temps long aux alentours des huit milliards d’euros. En 2022, l’excédent agroalimentaire français atteint même son plus haut niveau depuis 2013 à 10,3 milliards d’euros. En première analyse, l’indépendance alimentaire française, prise dans son ensemble, est donc solide. Une observation plus fine montre que cette bonne performance est avant tout le fait du secteur des vins et spiritueux.

Comme on le voit sur ce graphique, les vins et spiritueux permettent à eux seuls que la France conserve un solde positif. Depuis 2011, la balance commerciale des produits transformés s’érode continuellement. Les produits agricoles et agroalimentaires « non alcoolisés » sont donc sur la défensive, surtout sur le marché européen.

Une concurrence avant tout intra-UE

Le détail par destination est en effet limpide : la France décroche par rapport à ses voisins européens. Alors que le solde commercial s’accroît avec les pays tiers, il s’effrite progressivement depuis plus de vingt ans vis-à-vis de l’Union européenne.

La chute s’est même accélérée depuis 2011 au point que le solde soit devenu négatif à partir de 2015. La conclusion est claire : les filières agricoles et agroalimentaires françaises doivent faire face à une concurrence avant tout européenne. Ce qui se constate tout particulièrement pour les productions animales, comme ce schéma le confirme :

A l’exception des animaux vivants, la France recule face à l’élevage d’autres pays européens. La France perd donc de son autonomie alimentaire au sein même du marché commun. Celui-ci étant par construction un marché où les marchandises s’échangent sans entrave, c’est-à-dire sans droit de douane et selon les mêmes normes, la concurrence y est intense. Plus qu’avec les pays tiers car l’UE bénéficie de protections douanières qui protègent, au moins partiellement, le marché européen. Justement, à ce niveau européen, est-ce que l’autonomie alimentaire de l’UE est assurée ?

Une balance commerciale européenne équilibrée

En 2022, l’Union européenne a dégagé un excédent commercial de 58 milliards d’euros pour son secteur agroalimentaire. Le graphique ci-dessous montre que ce solde s’est amélioré au fil des années : il était négatif jusqu’en 2013 puis est devenu clairement positif à partir de 2020. Il faut cependant prendre en compte l’évolution de la composition de l’UE pendant cette période : élargissement aux pays de l’est dans les années 2000. Et départ du Royaume-Uni en 2020, pays ayant un déficit commercial de plus de 25 milliards d’euros.

L’Union européenne est donc une zone qui est globalement à l’équilibre au niveau de son solde commercial agroalimentaire, bien qu’on constate une augmentation des échanges, importations et exportations. Dans ce contexte, voyons les pays les plus conquérants au sein même du marché commun.

L’Espagne et la Pologne conquérantes

Parmi les pays améliorant significativement leur solde commercial avec les pays de l’UE, on retrouve deux pays bien connus des filières viandes : l’Espagne et la Pologne. En dix ans, la balance commerciale agroalimentaire ibérique avec l’UE est passée de +8 milliards d’euros à +14 milliards. Quant à la Pologne, celle-ci est passée sur la même période de l’équilibre à +6 milliards d’euros. Parmi les autres pays gagnant des parts de marché au sein du marché commun, on peut citer les Pays-Bas et l’Italie. A l’inverse, l’Allemagne est, plus encore que la France, sur la défensive puisque son solde commercial avec l’UE chute de plus de 10 milliards d’euros en dix ans. L’Union européenne est donc un marché où la pression concurrentielle est forte et les états n’ont que peu de leviers pour influer sur les dynamiques en cours.

A souveraineté limitée, moyens d’action limités

Quels sont les outils dont dispose un état pour influer sur son indépendance alimentaire ? Autrement dit, sur quoi peut-il exercer sa souveraineté ?

  • Sur la maîtrise de ses frontières en définissant une politique commerciale. Les droits de douanes et la définition des normes en sont les principaux outils.
  • Sur l’établissement d’un budget agricole et/ou agroalimentaire. Les formes et objectifs peuvent être très variés.

Sur ces deux points, la France a délégué sa souveraineté à l’échelon de l’UE et n’a donc pas de moyen d’action même si la dernière PAC redonne des marges de manœuvre aux états membres.

  • La réglementation encadrant la façon de produire (environnement, santé etc.)

Ce domaine est partagé avec l’Union européenne, les états peuvent ajouter leurs propres réglementations à celles décidées au niveau européen.

  • La fiscalité et les normes sociales

C’est le domaine où les états sont pleinement souverains au sein de l’Union européenne dans la limite du respect des critères européens sur le déficit public. Il s’applique cependant plus largement qu’à l’agriculture et l’agroalimentaire. Cela explique en partie le succès agricole de certains pays comme la Pologne, qui s’appuie sur des salaires plus faibles.

On peut ajouter comme autre outil de souveraineté la monnaie, gérée au niveau de la zone euro pour la France.

On le voit, la France a peu de moyens d’actions pour contrecarrer le recul de son solde commercial agroalimentaire avec les autres pays de l’UE. Les dernières lois Egalim, par l’étiquetage obligatoire de l’origine ou une relative protection des prix agricoles par exemple, ne peuvent avoir qu’une portée assez limitée pour protéger les filières françaises.

Rédigé par Arnaud Haye

Chargé de mission Economie - Emploi, référent sur les filières viande bovine, porc et volailles de chair

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