Les viandes françaises dans le rouge
Les crises de ces dernières années montrent combien il est important pour un pays de pouvoir subvenir aux besoins primaires de sa population. La France demeure un grand pays agricole mais elle a vu certaines de ses productions animales diminuer ces dernières années. A tel point qu’elle est devenue dépendante des importations en viande bovine et en volaille. Les objectifs climatiques risquent d’amplifier ce phénomène.
Le thème de la souveraineté alimentaire s’invite régulièrement dans les débats, notamment depuis la crise Covid et le début de la guerre en Ukraine. Ces évènements ont remis sur le devant de la scène l’importance pour notre pays d’avoir une agriculture et une industrie agroalimentaire capable de continuer à nourrir sa population, même dans des contextes mouvementés qui peuvent perturber les échanges internationaux de produits agricoles et alimentaires.
Souveraineté ou indépendance ?
Avant d’explorer la situation pour les viandes françaises, il convient de définir le terme de souveraineté. Il s’agit, d’après le Larousse « du pouvoir suprême reconnu à l’État, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l’ordre international où il n’est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe). » Appliquer cette notion à l’alimentaire ne va pas de soi. Ce concept a cependant été développé pour la première fois par le mouvement social et paysan international « Via Campesina » lors du sommet de Rome sur l’alimentation, organisé par la FAO en 1996. D’après leur définition, la souveraineté alimentaire est « le droit des pays de définir leur propre politique agricole et alimentaire, de protéger et réglementer leur production et leurs échanges agricoles avec un objectif de développement durable et de déterminer leur degré d’autonomie alimentaire, dans des conditions de travail et de rémunération décentes ».
D’après cette définition, un état peut donc posséder une souveraineté alimentaire mais décider de dépendre d’importations, au moins partiellement, pour nourrir sa population. Par ailleurs, la France ayant délégué ses politiques agricole et commerciale à l’Union européenne, elle ne peut avoir de souveraineté alimentaire en propre. Dans cet article, nous allons donc nous intéresser exclusivement à l’autonomie (ou indépendance) alimentaire de la France. Commençons par voir ce qu’il en est pour le porc, viande la plus consommée en France.
La France autonome en viande de porc
En 2022, la France a abattu 2,154 million de tonnes (tec) de porc. Dans le même temps, les Français en ont consommé 2,180 millions de tonnes. Le taux d’autosuffisance est donc de 98,8 %.
Sur dix ans, les abattages français sont stables. La consommation individuelle de viande porcine est demeurée identique à 32,1 kg/hab/an. Comme la population française a légèrement augmenté sur cette période, la consommation française totale a augmenté de 3,6 %. Le taux d’autosuffisance s’est donc légèrement dégradé (102,3 % en 2013) mais est toujours resté proche des 100 %. Les abattages français sont restés stables ces dernières années mais donnent des signes de faiblesse en 2022 (-2,3 % par rapport à 2021) et en ce début de 2023 (-5,8 % sur la période allant de janvier à mai 2023). La France bénéficie donc encore d’une autonomie en viande porcine, mais celle-ci est menacée.
En valeur, la balance commerciale française est négative de 130 millions d’euros en 2022, principalement du fait de la charcuterie.
Voyons ce qu’il en est pour la viande de volaille.
Une dépendance croissante en volaille
Il s’agit de la deuxième viande la plus consommée en France. En 2022, notre pays a abattu 1,501 million de tonnes de volaille. Les Français en ont consommé 1,888 million de tonnes. Le taux d’autosuffisance est de 79,5 %.
Sur dix ans, les abattages français baissent de 11,1 %. La consommation individuelle de viande de volaille est passée de 24,0 kg/hab/an à 27,9 kg/hab/an (+16,2 %). La consommation française totale a augmenté de 18,9 %. Le taux d’autosuffisance s’est donc beaucoup dégradé (102,1 % en 2013). Historiquement très excédentaire, le commerce extérieur français de la volaille est dans le rouge depuis 2016 et plonge rapidement. La hausse des importations provient essentiellement de la Pologne et du Benelux.
Ce déficit se retrouve au niveau du solde de la balance commerciale française qui est largement négatif : -1,094 milliard d’euros en 2022.
La France est donc de plus en plus dépendante des importations de volaille, cette tendance risque encore de se renforcer ces prochaines années.
Ainsi qu’en bovins
En 2022, la France a abattu 1,361 million de tonnes (tec) de bovins. Les Français ont consommé 1,492 million de tonnes de viande bovine. Le taux d’autosuffisance est de 91,2 %.
Sur dix ans, les abattages français ont baissé de 3,4 % et la consommation française de 3,8 %. Le taux d’autosuffisance est donc resté quasiment identique (90,8 % en 2013). Les abattages français sont restés stables ces dernières années mais ont commencé à chuter en 2022 avec une baisse de 4,5 % entre 2021 et 2022. Il y a eu un délai de cinq ans entre le début de la décapitalisation des cheptels bovins et la baisse des abattages du fait de la longueur des cycles de production en bovins. En six ans, la France a perdu 10 % de ses vaches laitières et 14 % de ses vaches allaitantes. Cette décapitalisation se matérialisera par une baisse des abattages dans les mêmes ordres de grandeur ces prochaines années. Comme la consommation demeure relativement stable, il est probable que le taux d’autosuffisance français se dégradera.
En terme financier, la balance commerciale française est négative d’environ 700 millions d’euros en 2022.
Vers un Gosplan vert ?
L’autonomie française pour les trois principales viandes consommées en France se dégrade. Notre pays n’est déjà plus autosuffisant en viande bovine et est largement dépendant des importations en volaille. Les perspectives ne sont pas bonnes car beaucoup d’observateurs s’attendent à ce que les abattages continuent de se contracter, au moins à moyen terme. Dans le même temps, la consommation française de viande augmente légèrement ces dernières années. La question de l’indépendance alimentaire est donc effectivement un enjeu important.
En parallèle, les autorités publiques fixent des objectifs climatiques contraignants qui, s’ils sont mis en œuvre, ne pourraient que conduire à une baisse des productions animales. Dans le cadre de la Planification écologique, le gouvernement table ainsi sur une baisse tendancielle des cheptels bovins de 12 % d’ici 2030. Il est possible que ces baisses se fassent naturellement. Mais la question se pose de savoir comment le gouvernement s’y prendrait si ce n’était pas le cas.
Côté consommation, on a vu que les évolutions sont faibles. On peut donc s’attendre à ce que l’autonomie de la France en viande continue de se dégrader à moins qu’une hausse substantielle des prix à la consommation ne s’opère ou que les autorités ne contraignent les Français à réduire leur consommation de viande. C’est déjà un objectif affiché et certaines mesures vont dans ce sens comme la réduction du nombre de plats avec viande dans les cantines scolaires. L’effet est pour l’instant limité. On ne peut donc pour l’instant que s’interroger sur comment le gouvernement s’y prendrait s’il voulait aller plus loin. Jusqu’à présent, les consommateurs avaient le choix de consommer ce qu’ils voulaient. On peut relever que le terme de planification rappelle celui de Gosplan qui signifie littéralement « Comité d’État pour la planification ». Va-t-on vers un Gosplan vert ?