Des propositions pour enrayer la décapitalisation laitière

Le cheptel laitier français est en déclin, de 15 % entre 2018 et 2024. C’est le constat que pose un récent rapport du CGAAER. Les rapporteurs ont été missionnés par le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire pour analyser les causes, les éventuelles conséquences et faire des propositions pour enrayer cette décapitalisation.

Un déficit d’attractivité

Si les causes du déclin sont multiples, elles peuvent être rangées sous le même chapeau du déficit d’attractivité de la filière. Le rapport cite le prix comme principale raison à ce déficit d’attractivité. Bien que le prix du lait payé aux producteurs ait considérablement augmenté depuis 2022, cet ajustement encore récent ne permet pas d’enrayer une dynamique qui est la conséquence de plusieurs décennies de prix plus faibles. Par ailleurs, selon le rapport, cette variable prix doit être rapportée à d’autres variables telles que le temps de travail et le capital investi. Ainsi, le résultat courant avant impôt par unité de travail agricole non salarié (RCAI/UTANS) est en moyenne de 29 500 € pour les élevages bovins lait entre 2010 et 2022. C’est près de deux fois moins qu’en grandes cultures (56 100 €) et 37 % inférieur au RCAI/UTANS en production porcine (47 200 €).

L’agrandissement des élevages, la pression foncière, la modernisation des installations et le développement des robots de traite ont par ailleurs accru le coût de reprise des exploitations, principal frein à l’installation. Il est aujourd’hui estimé à 1 000 €/1 000 litres. Les installations hors cadre familial (HCF) sont particulièrement pénalisées puisque, pour ces projets, le coût de reprise monte jusqu’à 1 200 €/1 000 litres, alors même que ces profils disposent généralement d’une capacité d’autofinancement plus faible. Ceci explique la faible part des HCF dans les installations en production bovin lait. Conséquence : le taux de remplacement en production laitière est particulièrement faible (40 %), largement inférieur à ce qui est observé en moyenne en agriculture (79 %).

Un effet boule de neige en Bretagne ?

Les rapporteurs alertent sur le fait que la filière laitière est soumise au risque d’un effet boule de neige. La production repose en effet sur un tissu d’acteurs. Les éleveurs laitiers voisins peuvent s’entraider, se donner des conseils, s’organiser pour l’astreinte et se libérer ainsi des weekends, etc. Et ces producteurs ont besoin de vétérinaires, de conseillers techniques, de comptables et d’un point de collecte. Un éleveur isolé rencontrera potentiellement des difficultés supplémentaires sur l’ensemble de ces aspects, ce qui peut l’inciter à cesser son activité laitière. De leur côté, les laiteries se situant dans des territoires en forte déprise laitière voient leurs coûts de collecte s’accroître, ce qui peut entrainer à terme leur fermeture. Cet effet boule de neige s’est observé en particulier dans le Sud-Ouest dès l’arrêt progressif des quotas laitiers. 

En Grand Ouest, et donc en Bretagne, malgré la dynamique de déprise constatée sur l’ensemble de la région, le tissu industriel est dense, lui-même préservé par la hausse des volumes moyens des exploitations (voir carte ci-dessous). Cette densité des acteurs économiques préserve ainsi la région d’un effet boule de neige.

Une grande partie des exploitations laitières en Bretagne se situent à moins de 60 km d’un point de collecte, conséquence d’un maillage industriel dense

Des risques persistants

Bien qu’un effet boule de neige n’est pas envisageable en Bretagne, les rapporteurs mentionnent un certain nombre de risques auxquels est soumise la filière laitière régionale.

  • La concurrence des autres productions sur le foncier, en particulier des exploitations en porc qui souhaitent acquérir du foncier pour gagner en autonomie alimentaire et qui disposent de ressources financières souvent bien plus importantes.
  • Dans certains territoires comme le sud Finistère et le Morbihan, des sites industriels sont vieillissants et ne sont plus compétitifs. C’est par exemple le cas du site Entremont de Malestroit (56) dont Sodiaal a annoncé la fermeture d’ici 2028. Si cette fermeture n’impacte pas directement la collecte, que la coopérative continuera d’assurer pour les éleveurs concernés, à terme cela constitue un risque important pour la pérennisation de la filière sur une partie du département.

Par ailleurs, en Bretagne plusieurs outils de transformation sont spécialisés sur la production de commodités laitières, notamment à destination de la RHD. Or, la compétitivité de la production française s’érode. Ça serait notamment la raison pour laquelle Lactalis a fait le choix de réduire sa collecte. Les rapporteurs concluent sur le fait que la filière laitière nationale doit retrouver des marges de compétitivité sur ces marchés pour faire face aux importations, sans quoi le repli est inévitable.

Une filière à soutenir

Globalement, les propositions du rapport pour pérenniser la filière laitière s’articulent autour de deux axes :

  • Le soutien financier de la filière

Ce soutien passe par un maintien des aides en faveur de l’élevage bovin laitier pour la future programmation Pac, notamment dans les zones en montagne, où le risque de déprise est plus fort. En Bretagne, la programmation actuelle (mise en œuvre depuis 2023) a maintenu le montant moyen d’aides par exploitation spécialisées en élevage laitier (voir figure ci-dessous). Le soutien financier doit être renforcé aussi auprès des laiteries, afin qu’elles regagnent en compétitivité. Les rapporteurs proposent aussi de réaliser un travail de simplification administrative, à l’instar de ce qui a été réalisé pour la profession agricole.

Données Bretonnes – Sources : Recensement Agricole 2020, ASP, traitement Agreste SSP/Srise
  • Une meilleure cohésion de filière

La filière française a la particularité de reposer sur un nombre important de transformateurs, et notamment de laiteries privées, ce qui peut mettre à mal la cohésion de la filière. Les rapporteurs soulignent ainsi le besoin de renforcer le dialogue entre les producteurs et les laiteries pour définir une vision stratégique au niveau territorial, mais aussi une réflexion commune au niveau national sur l’avenir de la filière laitière.

Le constat de la décapitalisation et du manque d’attractivité de la filière laitière n’est pas nouveau, et les propositions du rapport ne sont pas innovantes. Toutefois, sans être alarmant, ce rapport a le mérite de mettre en avant l’urgence de la situation avant un possible effet boule de neige qui pourrait toucher certains territoires du croissant laitier, derrière une apparente résilience.