Succès confirmé pour les marques de distributeur : quels impacts pour nos filières bretonnes ?

En 2025, les marques de distributeur (MDD) ont atteint un niveau inédit en France : elles représentent aujourd’hui 36 % des dépenses alimentaires. Bien qu’encore légèrement en deçà de la moyenne européenne, estimée à environ 38 % de parts de marché, les MDD ont bel et bien trouvé une place dans le cœur mais surtout dans le caddy des consommateurs. Une tendance qui accentue encore la pression concurrentielle pour les marques nationales, mais qui pourrait également avoir des répercussions sur l’amont agricole. Alors, à quoi s’attendre pour nos filières bretonnes ?

MDD : autopsie d’un phénomène en croissance constante

Les MDD (marques de distributeur) désignent les marques détenues directement par les enseignes de distribution. Cette stratégie consiste pour ces dernières à « copier » les produits à succès développés par les industriels de l’agroalimentaire, tout en s’affranchissant des coûts de R&D et en limitant ainsi la prise de risque financière. En y ajoutant un packaging au marketing plus minimaliste, compensé par des offres promotionnelles ciblées, les distributeurs parviennent à réduire les coûts de production et les prix de vente de manière significative par rapport à un produit équivalent de marque nationale, avec un écart moyen de prix de 25 % (voir notre article à ce sujet).

Boosté par l’inflation, le succès des MDD s’est d’abord observé sur les produits frais libre-service (produits laitiers, œufs, viandes fraîches et transformées…), où elles atteignent désormais près de 50 % des parts de marché en valeur, selon la Fédération du commerce et de la distribution. Une tendance haussière qui ne semble pas près de s’arrêter.

Selon Philippe Goetzmann, consultant retail, le prix n’est plus le seul argument de choix : les consommateurs plébiscitent désormais la qualité et le goût des produits MDD. Ce constat laisse entrevoir un fort potentiel sur les segments du bio (déjà 45 % de parts de marché en GMS), des produits locaux et des gammes gastronomiques.

La Bretagne au cœur du virage industriel des MDD

La montée en puissance des marques de distributeur interroge particulièrement en Bretagne, région historiquement ancrée dans l’agroalimentaire. La région concentre une part importante des 55 usines agroalimentaires du groupe Agromousquetaires, filiale du groupement Les Mousquetaires et premier fabricant français de produits sous MDD. Chaque jour, Agromousquetaires produit ainsi pour les marques propres d’Intermarché et Netto. Ainsi, des acteurs bretons historiques comme Jean Rozé ou Monique Ranou, de longue date intégrés à Agromousquetaires, fournissent aujourd’hui en priorité les gammes de distributeur des enseignes du groupement Les Mousquetaires.

Autre entreprise emblématique : la Laiterie Le Gall à Quimper, qui a enregistré une hausse de 12,4 % de ses ventes sous MDD en 2023 par rapport à 2022, tandis que les marques nationales reculaient de 9 % sur la même période. Cette évolution, au détriment des beurres bio, AOC, crus ou au sel de mer, pousse l’entreprise à se repositionner. Mais si ce modèle sécurise les débouchés et l’approvisionnement, quelles conséquences pour l’amont agricole ?

Prix, accélération des importations, disparition de certaines gammes… A quoi faut-il s’attendre ?

Les MDD étant nettement moins chères, et destinées à le rester, on peut légitimement se demander si, à terme, le revenu des producteurs ne sera pas menacé.

Les distributeurs se veulent rassurants : depuis le 15 février 2023, le Sénat a étendu la non-négociabilité des matières premières agricoles aux produits vendus sous MDD. La réduction du coût pour le consommateur se ferait donc plutôt sur les volets R&D et marketing. Les enseignes avancent également que l’essor des MDD peut créer de la valeur grâce à des relations commerciales plus stables, moins dépendantes des négociations annuelles, notamment via des contrats tripartites sécurisants pour les producteurs.

Pourtant, la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) dénonçait, dans un communiqué du 3 avril 2024, la pression exercée par certains distributeurs sur leurs fournisseurs afin qu’ils réduisent leurs marges dans la production de MDD… les contraignant ainsi à rogner sur le prix payé aux éleveurs.

Sans confirmer cette accusation, Jérôme Foucault, président de l’Adepale (Association des entreprises de produits alimentaires), alertait sur un autre risque : plus les distributeurs gagnent de l’argent avec les MDD, plus ils pourraient être tentés d’augmenter les prix de vente au consommateur des marques nationales ou de durcir les conditions de négociation avec les entreprises agroalimentaires. Une telle évolution contraindrait certaines PME, comme la laiterie Le Gall, à revoir profondément la composition de leur portefeuille produits.

Prioriser les MDD, aux marges plus faibles, pourrait se faire au détriment de leurs propres marques. L’un des effets collatéraux possibles serait la disparition de certaines gammes ou même de marques historiques, connues des consommateurs.

MDD et production : un impact à nuancer

Et c’est sans doute ce point qui marquera le plus grand changement à moyen terme.
Car contrairement aux idées reçues, aucune étude ne permet aujourd’hui d’affirmer qu’une hausse des ventes de produits MDD accentuerait les importations de matières premières au détriment des filières françaises.

Au contraire, la tendance semble aller dans le sens inverse, du moins pour les MDD distribuées hors enseignes de hard-discount. Devant la volonté des consommateurs de connaitre la provenance de leurs produits, et leur souhait de privilégier l’origine France, les enseignes généralistes ont largement progressé ces dernières années pour assurer un sourcing national.

Agromousquetaires déclarait lors d’un audit à l’Assemblée Nationale le 29 mai 2024 que la majorité des produits MDD du groupe sont d’origine française ou utilisent des matières premières françaises. Les viandes, produits laitiers et œufs, vendus en frais ou entrant dans la composition de plats préparés, sont notamment concernés par ces achats locaux. En revanche, dans les produits très transformés, la part d’ingrédients produits sur le territoire baisse, oscillant entre 30 et 40 % seulement.

Souhaitons que cette tendance à la relocalisation des approvisionnements en matières premières se poursuive, et que le succès des MDD s’accompagne également d’une sécurisation de nos filières locales.