Relations contractuelles : vers un changement de paradigme ?
Alors que la collecte, bretonne comme française, a particulièrement décroché à la fin de l’été 2023, plusieurs signaux d’alerte se sont multipliés. Le Cniel évoque la perte d’autonomie alimentaire française en lait pour 2027, tandis que les industriels multiplient les actions pour attirer de nouveaux adhérents ou garder ceux sous contrats.
La collecte nationale est en recul depuis le début de l’année 2023 (-2,3 %/2022 en cumul de janvier à août), mais le décrochage bien plus prononcé affiché depuis la mi-août dans les sondages hebdomadaires de FranceAgriMer interroge particulièrement. En semaine 37, la collecte se replie de 7,5 % par rapport à 2022. La Bretagne n’échappe pas à cette tendance, bien au contraire. En semaine 37, le recul annuel de la collecte bretonne atteint 8,8 %.
La souveraineté française en lait mise à mal ?
Cette situation, qui concerne l’ensemble des régions françaises, interpelle les acteurs de la filière. C’est ainsi que le CNIEL, dans sa note de conjoncture de juin, a réalisé une projection sur le taux d’autosuffisance en lait en France et a montré que, si la tendance actuelle se poursuivait, la France perdrait sa souveraineté en lait en 2027.
La probabilité d’un tel scénario peut être questionnée, car il repose sur des hypothèses fortes, notamment sur l’orientation des débouchés et l’évolution de la demande intérieure. Cependant, il s’agit surtout d’envoyer un signal d’alarme aux acteurs de la filière et aux pouvoirs publics sur l’urgence et la gravité de la situation.
Vers une évolution des rapports de force
Les transformateurs le savent, et plusieurs signaux vont dans ce sens cette année. Notamment, Lactalis a annoncé, dans un communiqué fin septembre, un assouplissement des règles de gestion des volumes, qui « se traduit par une augmentation de votre droit à produire 2023/2024 à hauteur de 2 % de votre volume contractuel de la campagne ». L’entreprise précise par ailleurs que ce pourcentage pourrait être revu à la hausse en décembre, en fonction de l’évolution de la collecte et des cours des marchés ingrédients. Par ailleurs, Lactalis ne laisserait plus partir une exploitation pour un autre client avant la fin des six mois de préavis. D’autres transformateurs envisageraient d’appliquer des pénalités au cédant lorsqu’un repreneur ne reprendrait pas le contrat, à volume identique, avec le transformateur.
Autre exemple marquant, chez nos voisins Normands : les adhérents de l’OP APLN (association de producteurs de lait normands) ont eu la proposition de choisir entre rester dans l’OP et donc de continuer de fournir Eurial, ou partir pour entrer dans un contrat avec Novandie (contrat-cadre commun avec Laiterie Saint Denis de l’Hôtel). Il y a dix ans, une telle situation aurait été inenvisageable : des éleveurs rompant leur contrat avec un industriel privé ou coopératif peinaient à retrouver un débouché.
Dans le cadre des travaux prospectifs Agricultures bretonnes 2040, la Chambre d’agriculture avait identifié dans son scénario une tendance à la réduction des volumes de viande et de lait produits en Bretagne, bien au-delà des éventuels ajustements de la consommation française. La réalité semble, au moins ponctuellement, rattraper la fiction et remettre en cause la certitude qu’« il y aura toujours du lait en Bretagne».
Ces signaux d’une inversion de tendance se multiplient depuis septembre et dessinent, peu à peu, le nouveau contexte dans lequel évolueront les acteurs de la production agricole française pour les prochaines années, celui de transformateurs à la recherche de lait. Damien Lacombe, président de Sodiaal, le formule ainsi dans un communiqué de presse à l’occasion de la dernière édition du Space : « Pour faire face à la nouvelle ère laitière, nous multiplions les efforts afin de rendre attractif notre métier nourricier et soutenir les éleveurs au quotidien… Nos adhérents comme les nouveaux installés sont une priorité de la coopérative, et de la filière pour assurer la souveraineté alimentaire ».