5 visions sur l’agriculture bretonne en 2040

Cinq scénarios se dégagent de l’étude Agricultures bretonnes 2040. Cinq visions, comme autant d’histoires différentes pour décrire les visages que pourraient prendre les agricultures bretonnes à l’horizon 2040. Des « agricultures » conjuguées volontairement au pluriel : demain, peut-être plus encore qu’aujourd’hui, différentes formes d’agriculture cohabiteront dans notre région.

Plus chaud et plus sec l’été, plus souvent marqué par des événements extrêmes : selon les scientifiques, le climat de 2040 est déjà connu. En revanche, les futurs sont très ouverts en ce qui concerne les marchés, les modèles d’entreprise agricole ou les attentes des consommateurs. C’est ce que reflètent les cinq scénarios contrastés d’Agricultures bretonnes 2040.

Une agriculture bretonne en mode résistance

En 2040, les marchés mondiaux sont moins dynamiques, sous l’effet d’un ralentissement de la croissance de la démographie et du commerce international. Depuis vingt ans les règles environnementales se sont durcies en Europe, pénalisant la compétitivité des filières. Pour s’adapter, nombre d’entre elles ont opéré un recentrage sur le marché intérieur. Or, le prix y est resté le premier critère de choix des consommateurs pour leurs achats alimentaires.

Cela a ouvert la voie aux importations d’aliments moins coûteux et a contribué à positionner la grande distribution et la restauration comme les pilotes des filières alimentaires. Ces acteurs s’appuient sur différents leviers tels que leur influence dans les interprofessions, les capitaux investis dans l’aval et plus encore la généralisation de démarches contractuelles. En 2040 plus que jamais, ils fixent les priorités et le rythme des transformations.

C’est le scénario tendanciel d’Agricultures bretonnes 2040.

En Bretagne, l’élevage a décliné. Les projets agricoles se sont diversifiés, avec par exemple le développement de nouvelles productions végétales ou encore l’essor des productions de petits herbivores… Deux grandes familles d’entreprises agricoles coexistent désormais, sur fond d’augmentation de la surface moyenne des exploitations. D’un côté, de grandes entreprises – qui ont gagné en autonomie et en efficacité et s’appuient sur le salariat et l’automatisation – de l’autre côté, des exploitations de plus petite taille qui se sont positionnées sur des démarches de valeur ajoutée avec peu de salariat. Les exploitations de taille intermédiaire, moins rentables ou devenues moins attractives faute d’investissement, ont peu à peu disparu.

Ce scénario est plausible, c’est celui qui se produira si on laisse les tendances actuelles se confirmer. Les deux orientations que prendraient les exploitations ont leurs limites : le marché local n’est pas extensible à tout va. De son côté, la logique d’une agriculture hypercompétitive est risquée elle-aussi : il y aura toujours ailleurs quelqu’un de plus compétitif que soi.

André Sergent, Président de la Chambre d’agriculture de Bretagne

L’agriculture vise la neutralité carbone

La sensibilité de la population au dérèglement climatique s’est renforcée. La mondialisation s’est réorganisée, avec la Chine plus que jamais au centre de l’économie mondiale et une intensification des échanges entre pays géographiquement proches. Les accords commerciaux ont d’ailleurs été réécrits pour intégrer des critères environnementaux. En Europe, les productions se sont progressivement relocalisées. Les réglementations européennes intègrent désormais davantage les enjeux climatiques, environnementaux et la biodiversité.

La demande alimentaire a évolué, les consommateurs souhaitent trouver dans leur alimentation des réponses pour préserver leur santé et l’environnement. Moins de protéines animales, plus de protéagineux : le contenu des assiettes reflète leurs nouvelles attentes.

La Bretagne a assumé sa vocation d’élevage et s’affirme désormais comme un bassin de production bas carbone ; la sylviculture est redynamisée. Dans ce contexte, les volumes de production agricole ont reculé. Les filières et les entreprises agricoles ont profité de l’essor de la compensation carbone et se sont appuyées sur une Politique Agricole Commune (PAC) plus environnementale. Elles y ont trouvé des compléments de financement et de revenu.

La Bretagne est en capacité de devenir un bassin de production bas carbone : le train est en marche, les agriculteurs et les filières sont déjà embarqués vers la décarbonation. Il faudra évoluer vers un équilibre plus affirmé entre productions animales et végétales pour rendre nos exploitations plus autonomes. Mais garder l’élevage est indispensable pour la viabilité de l’agriculture bretonne. Les transformations demanderont des moyens financiers importants.

Loïc Guines, Co-président du comité de pilotage de l’étude Agricultures bretonnes 2040.

Une agriculture bretonne territorialisée

Des systèmes alimentaires plus locaux se sont développés partout dans le monde. Avec la fin de l’expansion du libre-échange, les territoires s’affirment désormais comme les nouveaux espaces économiques pertinents. La politique agricole française, orientée sur la souveraineté de l’alimentation et la réponse aux attentes sociétales, se décline dans les territoires. En Bretagne, deux priorités s’imposent : l’accès de tous à une offre alimentaire locale de qualité et la montée en gamme de l’agriculture.

Les filières régionales se sont partiellement désinvesties du marché mondial. Elles exportent encore, plus marginalement, notamment pour équilibrer leurs débouchés. Les métiers de l’agriculture ont connu un regain d’attractivité. Le nombre d’élevages a diminué, les structures et les productions sont désormais plus diversifiées. Les entreprises agricoles restent de taille moyenne. Elles emploient des actifs nombreux, qui s’impliquent dans la vie des territoires et des filières. La transformation agroalimentaire a réduit ses activités du fait de la baisse des volumes de productions agricoles.

Ce scénario est complexe, il demande que beaucoup de conditions soient réunies et notamment que des soutiens financiers importants soient apportés par la collectivité.

La Bretagne est une petite région mais elle a la particularité d’être constituée d’une multiplicité de territoires très différents. Ce scénario nous pose aussi le défi d’une implication importante des élus agricoles pour défendre une ligne régionale et départementale cohérente et garante de l’équité entre les territoires.

Edwige Kerboriou, co-présidente du comité de pilotage de l’étude Agricultures bretonnes 2040.

Priorité à l’économie

Durant la décennie 2020, une grave crise économique frappe la France. L’agriculture et l’agroalimentaire redeviennent alors une priorité économique. Elles s’imposent comme des leviers importants de la croissance économique française et de sa puissance à l’international.

La France reprend alors en main la politique agricole. La région Bretagne et les collectivités accompagnent ce mouvement. Elles poursuivent l’objectif de soutenir la productivité, notamment via des aides à l’investissement. Le pari consiste aussi à s’appuyer sur les avancées technologiques. Celles-si se déploient massivement déployées dans les entreprises agricoles et les usines. La Bretagne a confirmé sa vocation d’élevage. Les filières bretonnes ont renforcé leurs parts de marché à l’international grâce à leurs gains de compétitivité.

Les exploitations agricoles et les industries agro-alimentaires se sont métamorphosées, par le biais de l’automatisation ou encore l’adoption des biotechnologies. Les capitaux dans les entreprises agricoles ne sont plus uniquement détenus par les exploitants eux-mêmes, l’intégration s’est développée. De même pour le reste de la filière, les capitaux se sont ouverts pour faire face aux forts besoins d’investissement et la distribution a pris place dans les filières alimentaires.

Au moment de son écriture, ce scénario paraissait utopique, le mot “produire” était quasiment un gros mot, c’est la montée en gamme qui était d’actualité. Depuis les événements de ces derniers mois, ce scénario est en partie en train de se réaliser, avec une priorité redonnée à l’économie.

Il faut toutefois rester attentifs aux capitaux extérieurs qui viendraient soutenir les filières, car les agriculteurs pourraient y perdre une partie de leur indépendance. Ce scénario ne pourrait pleinement se réaliser que si les pouvoirs publics donnent une orientation forte pour qu’un pacte soit établi avec la société, pour que nous arrivions à produire tout en préservant l’environnement.

Cédric Henry, membre du comité de pilotage de l’étude Agricultures bretonnes 2040.

Une agriculture bretonne plus végétale

Les politiques publiques ont donné une priorité forte à la protection de l’environnement et à l’atténuation du changement climatique. La réduction de l’élevage, fort émetteur de gaz à effet de serre, a été perçue comme un levier puissant pour y parvenir. Elle a coïncidé avec un recul de la demande des consommateurs en protéines animales.

En Bretagne, le nombre d’actifs agricoles a diminué. Les agriculteurs en activité exigent de mieux maîtriser leur temps. L’élevage a décliné, victime de ses astreintes et de ce nouveau rapport au temps. Ainsi, les agriculteurs privilégient désormais les productions végétales, moins chronophages. D’autres productions se déploient sur les surfaces libérées par l’élevage : grandes cultures, énergie, productions biosourcées, ou encore sylviculture

Dans la région, de grandes exploitations se sont développées, notamment des élevages fortement automatisés qui produisent des volumes importants. Elles cohabitent avec des entreprises de taille plus modeste. Celles-ci axent leur modèle économique sur la recherche de valeur ajoutée. Elles développent des circuits courts ou diverses démarches de valorisation.

Quels impacts pour la Bretagne en termes de paysages ? Quel devenir pour les haies en l’absence d’élevage ? Ce question pose aussi la question de la durabilité des systèmes et du maintien des équilibres agronomiques, compte tenu d’une disponibilité en matière organique qui deviendrait bien plus réduite.

Ce scénario peut se réaliser selon deux cheminements très différents. Le premier mènerait vers une diversification végétale des territoires. Une réorientation de certaines exploitations d’élevage vers cette diversification végétale serait alors possible : d’une part avec des exploitations de taille limitée, procédant à de la vente directe de légumes et de légumineuses et s’appuyant sur des outils de transformation à la ferme, d’autre part avec des exploitations de plus grande taille travaillant avec des groupes agroalimentaires.

En l’absence d’actifs suffisamment nombreux, le deuxième chemin serait celui d’une « céréalisation » brutale de la Bretagne limitée à quelques cultures faisant l’objet d’une forte mécanisation. Si la première voie peut générer de la valeur ajoutée dans les territoires, la deuxième serait synonyme pour la Bretagne d’un fort déclin de notre tissu agricole et agroalimentaire.

Jean-René Menier, membre du comité de pilotage de l’étude Agricultures bretonnes 2040.

Pour en savoir plus :

les scénarios en version intégrale.

Agricultures bretonnes 2040 est une étude menée par la Chambre d’agriculture de Bretagne. Cette étude bénéficie de la contribution financière du compte d’affectation spéciale développement agricole et rural Casdar.

Rédigé par Maud Marguet

Responsable de l'équipe Economie - Emploi

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