Réduction de l’empreinte carbone de la filière lait : quels gains pour les éleveurs ?

Dans une conférence de presse du 14 février dernier, Sodiaal a annoncé la mise en place, à partir d’avril 2024, d’une « prime durabilité » pour favoriser la transition écologique. Cette prime s’inscrit dans un plan interprofessionnel de baisse de l’empreinte carbone de la filière lait. Cependant, à mi-chemin de ce plan, la dynamique n’est pas assez importante. En cause notamment, le manque d’incitations financières ?

Un objectif de réduction de l’empreinte carbone trop ambitieux ?

Dans le cadre du plan France Terre de Lait, le Cniel vise un objectif de réduction, entre 2016 et 2025, de 17 % de l’empreinte carbone d’un litre de lait sorti usine. Sachant que 80 % de l’empreinte carbone de la filière provient directement des élevages, cela implique une diminution de 20 % de l’empreinte des élevages bovins laitiers. Entre 2016 et 2021, l’empreinte n’aurait baissé que de 6 %. Il y a donc des forts risques que l’objectif ne soit pas atteint.  

Les leviers de baisse de l’empreinte carbone

Pourtant, des leviers existent et n’entachent pas nécessairement la performance économique de l’exploitation.  

Dans le cadre du projet Dairy4Future, des tests de diminution de l’empreinte carbone ont été lancés au sein de la station expérimentale Trévarez. Les émissions brutes de GES ont baissé de plus de 15 % en 3 ans1 en mobilisant plusieurs leviers, principalement :

  • L’optimisation de la conduite d’élevage : réduire l’âge au 1er vêlage (à 24 mois en 2022) et le taux de renouvellement.
  • Une croissance de la part de l’herbe dans la ration alimentaire.
  • Une diminution de la fertilisation azotée.

La prime durabilité de Sodiaal

Dans le sillon de l’interprofession, les transformateurs construisent leurs propres plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Ainsi, Sodiaal a un objectif de réduction de 20 % des émissions globales de carbone d’ici 2030. C’est dans ce cadre qu’est proposée la prime durabilité, effective à partir d’avril 2024. Celle-ci pourra aller jusqu’à +5 €/1 000 litres. Selon la coopérative, 84 % des éleveurs seront éligibles à cette prime, mais tous n’auront pas droit au montant maximal.

La prime sera composée de deux parties :

  • Une partie basée sur l’indicateur d’émissions brutes de GES, calculées via l’outil d’autodiagnostic SelfCO2 :
    • 1 €/ 1 000 litres si les émissions sont comprises entre 0,85 et 1 kg eq. CO2/litre de lait2.
    • 2 €/1 000 litres si les émissions sont comprises entre 0,75 et 0,85 kg eq. CO2/litre de lait.
    • 3 €/1 000 litres si les émissions sont inférieures à 0,75 kg eq. CO2/litre de lait.
  • Une partie basée sur la part, dans la SAU totale, des surfaces « biodiversité » (haies et prairies permanentes présentes sur l’exploitation). Cette partie peut monter jusqu’à 2 €/1 000 litres.

En plus de la prime, Sodiaal a annoncé la mise en place d’un réseau de fermes pilotes, dans lesquelles seront réalisés des essais et qui permettront de faire connaître les outils de réduction de l’empreinte carbone.

Les actions des autres laiteries

Sodiaal est la première laiterie française à afficher un plan aussi ambitieux en termes de réduction de l’empreinte carbone, en y associant des moyens financiers (10 millions d’euros par an au total) afin d’inciter et d’accompagner financièrement les éleveurs dans cette démarche.

A partir du 2nd semestre 2024, Bel proposera une prime de 10 €/1 000 litres pour les éleveurs de l’Association de Producteurs Bel de l’Ouest (APBO) souhaitant utiliser l’additif Bovaer. Cet additif permet de réduire jusqu’à 25 % les émissions de méthane entérique.

Chez les autres laiteries, que ce soit par exemple Lactalis avec la démarche RSE « Culture Lait » ou Danone avec le programme « Les 2 pieds sur terre », il n’y a pas d’incitation financière. Cependant, les diagnostics Cap2ER, ainsi que l’animation de réseaux d’éleveurs et le recensement des bonnes pratiques, sont pris en charge par les entreprises.

Des incitations économiques limitées

Si les outils de réduction de l’empreinte carbone des élevages laitiers sont régulièrement pris en charge, les incitations financières restent donc limitées.  Ainsi, selon Sodiaal, les exploitations pourront percevoir au mieux jusqu’à 3 000 € de prime par an. De même, pour le marché des crédits carbone : en 2022, selon le dernier appel à projet de France Carbon Agri Association, la valeur de la tonne de carbone est de 32 €. Pour des actions menant à une baisse des émissions brutes de 0,15 kg eq. CO2/litre de lait, cela revient donc à un financement annuel inférieur à 3 000 €. Les agriculteurs ne souhaitant pas rentrer dans ces dispositifs opposent la faible incitation financière à la charge administrative supplémentaire que cela impliquerait de s’y engager.

La Pac a aussi son rôle à jouer dans cette mission de réduction de l’empreinte carbone de l’élevage laitier. En France, le maintien des prairies permanentes est un des critères à respecter dans la voie « pratiques agricoles » permettant d’accéder aux écorégimes (75 % des agriculteurs auraient choisi cette voie), ceux-ci pouvant monter jusqu’à 63,7 €/ha pour une exploitation en conventionnel (sans compter les bonus liés aux infrastructures agro-écologiques). A titre de comparaison, en Allemagne, les prairies permanentes extensives (<1,4 UGB/ha) peuvent donner accès à un écorégime de 100 €/ha.

Par ailleurs, les impacts des actions des éleveurs sont possiblement sous-évalués. Notamment, l’effet de l’albédo (pouvoir réfléchissant d’une surface) est encore mal mesuré. De même que les effets indirects positifs du maintien de l’élevage et donc de l’ouverture des milieux sur les risques d’incendies. Il est nécessaire d’avoir une meilleure évaluation de ces externalités positives de l’élevage afin de rémunérer, à leur juste valeur et par différents leviers, les éleveurs pour les services environnementaux qu’ils rendent. Sans quoi les objectifs affichés par l’interprofession ne pourront être atteints.


  1. Pour en savoir plus : https://fr.slideshare.net/slideshows/journe-technique-trvarez-20-fvrier-2024-atelier-1-systme/266543172 ↩︎
  2. A titre de comparaison, en Bretagne, d’après 136 diagnostics Cap2ER réalisés par la Chambre entre 2013 et 2021, la moyenne est de 0.97 kg eq. CO2/litre de lait. ↩︎

Rédigé par Olivier Carvin

Chargé de mission Economie - Emploi, référent sur la filière laitière Docteur en économie de l'agroenvironnement. Breton d'adoption. Je mets mes compétences en analyse économique au service de la filière laitière bretonne. Je suis aussi le M. Diffusion de l'équipe.

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