Le poulet ukrainien à l’assaut des assiettes européennes

L’affrontement entre la Russie d’un côté et l’Ukraine et ses alliés occidentaux de l’autre a des conséquences majeures sur l’agriculture européenne. Celles-ci sont déjà bien visibles et bien documentées : hausse des prix de l’énergie, des matières premières végétales entre autres. Dans ce contexte, la filière avicole européenne doit faire face à une difficulté supplémentaire dont elle se serait bien passée : la concurrence ukrainienne.

Un concurrent redoutable

Depuis quelques années, l’Ukraine est un pays qui monte en puissance dans le secteur de l’aviculture. En témoigne la forte croissance de sa production et ses gains sur les marchés internationaux.

Le Ministère américain de l’agriculture estime que l’Ukraine a produit 1,4 million de tonnes de poulet en 2021, soit plus que les 1,1 million abattus en France. Comme le montre le graphique ci-dessus, cette croissance de la production s’est surtout portée sur l’export. L’Ukraine était en 2021 le cinquième exportateur mondial avec 450 000 tonnes de viandes de volaille expédiées.

La puissance montante ukrainienne s’appuie sur un prix des aliments imbattable, des coûts de main d’œuvre très faibles et une filière organisée autour de grandes entreprises ayant un fort degré d’intégration. Le mastodonte MHP, la plus importante de ces entreprises, s’est fait connaître en Bretagne il y a quelques années en se portant candidat à la reprise de Doux. MHP a produit pas moins de 750 000 tonnes de volailles en 2021 dont 400 000 tonnes étaient exportées hors d’Ukraine. La comparaison internationale des coûts de production se passe de commentaires : l’Ukraine est un des pays les plus compétitifs sur la scène internationale.

FR = France / UK = Royaume-Uni / IT = Italie / NL = Pays Bas / DE = Allemagne / ES = Espagne / PL = Pologne / UA = Ukraine / BR = Brésil

Une ouverture à double tranchant

A la suite du déclenchement du conflit entre la Russie et l’Ukraine, l’Union européenne et la Russie se sont engagés dans une escalade de sanctions – contre sanctions. L’une des mesures prises par l’UE, passée relativement inaperçue sur le moment, pourrait cependant affecter plus particulièrement l’aviculture européenne. L’UE a en effet décidé de suspendre pour une durée d’un an les droits de douanes sur tous les produits en provenance d’Ukraine.

L’objectif était de soutenir l’économie ukrainienne ; cette décision aura cependant des conséquences importantes, comme tout accord commercial.

Avant 2014, il n’y avait pas d’accord entre l’UE et l’Ukraine et donc pas d’échanges. A partir de 2014, l’Union européenne a ouvert de manière unilatérale des contingents à droits nuls pour les viandes de volailles, partant de 36 000 tonnes en 2015 et devant atteindre 40 000 tonnes à l’horizon 2021.

Comme on le voit sur ce graphique, cet accord a effectivement permis à l’Ukraine d’augmenter ses exportations. En 2021, celles-ci s’établissaient à 107 000 tonnes après avoir atteint 179 000 tonnes en 2019, un niveau bien supérieur au contingent à droits nuls. L’Union européenne n’est cependant pas le seul client, les pays du Moyen-Orient et la Russie étant aussi des débouchés importants pour la filière ukrainienne.

La guerre en cours et l’ouverture du marché de l’UE commence cependant déjà à rebattre les cartes. Le potentiel de production ukrainien n’est pour l’instant pas entamé par les combats car l’essentiel de la production se trouve dans des régions non exposées directement au conflit. En revanche, les flux se réorientent déjà et se portent sans surprise vers l’Union européenne.

Les importations de l’UE en provenance de l’Ukraine progressent de 63 % sur la période janvier-août 2022 par rapport à la même période de 2021. L’Ukraine est désormais le deuxième fournisseur de l’UE en dépassant la Thaïlande. L’interprofession Anvol faisait aussi remarquer que la France est concernée.

L’Ukraine reste pour l’instant un fournisseur très minoritaire sur le marché national (1,5 % des importations) contrairement au niveau européen.

Plusieurs éléments restent à ce stade inconnus : l’évolution du conflit en Ukraine, la poursuite de la suspension des droits de douanes par l’UE ou non etc. Cependant, si l’Ukraine devait continuer de bénéficier de l’accès au marché européen, cela en ferait un sérieux concurrent pour le secteur français. L’Ukraine bénéficie en effet de coûts de production encore inférieurs à ceux de la Pologne. Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, elle pourrait rapidement gagner des parts de marchés sur le marché national.

Rédigé par Arnaud Haye

Chargé de mission Economie - Emploi, référent sur les filières viande bovine, porc et volailles de chair

Rédiger un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.