Conflit Ukraine-Russie : Le début des contrecoups pour les agriculteurs bretons
Après l’entrée en guerre de la Russie en Ukraine, l’escalade des sanctions et contre-sanctions a secoué les filières agricoles et agroalimentaires bretonnes. Les inquiétudes se sont portées sur le coût de l’aliment, puis — avec le cours des céréales qui se stabilisent — vers l’énergie et les engrais. Un dernier facteur sera déterminant pour la santé économique du secteur : la consommation.
Il y a huit mois débutait le conflit entre l’Ukraine et la Russie. Avec ce recul, on peut réaliser un premier état des lieux des conséquences de l’affrontement et percevoir les défis qui se profilent à l’horizon pour le secteur agricole.
Le coût de l’aliment stabilisé ?
Dans un premier temps, la conséquence la plus pénalisante pour l’agriculture bretonne a été l’envolée du prix de l’aliment. C’est un poste de dépenses majeur pour les élevages, en premier lieu en porc et en aviculture. Les chiffres de Cerfrance montrent que l’aliment représentait 61 % du coût de revient en 2021 en porc.
Les ordres de grandeur sont similaires en aviculture. Cette inflation avait commencé avant le début du conflit, mais depuis son déclenchement, les marchés se sont emballés et les prix des céréales ont battu des records. Le blé cotait aux alentours des 250 €/tonne début 2022 sur Euronext, et il dépassait les 400 €/tonne en mai ! Ukraine et Russie étant des exportateurs majeurs de céréales sur les marchés mondiaux, les opérateurs craignaient que des difficultés logistiques créent des pénuries. La situation s’est détendue depuis grâce à une production mondiale en hausse et à un accord entre la Russie et l’Ukraine qui a permis de faciliter l’accès de ces pays aux exportations. À 330 €/tonne mi-septembre, le prix du blé demeure très haut mais s’est stabilisé. Ainsi, on peut s’attendre à ce que les prix de l’aliment restent élevés dans les prochains mois, mais contenus. L’indice Ifip qui mesure le prix de l’aliment porc s’établit à 395 €/tonne en juillet, en hausse de 41 % par rapport à juillet 2021 (280 €/tonne).
À plus long terme, la question des engrais entre en ligne de compte. Car là aussi, la Russie ainsi que la Biélorussie sont de gros producteurs. Les prix prohibitifs du gaz en Europe ont déjà poussé les fabricants européens d’engrais à réduire leur production. Les agriculteurs, notamment en Europe, sont confrontés à des risques de pénuries et à des prix en très forte hausse. Il est très probable que moins d’engrais seront épandus, avec pour corollaire des rendements en baisse. Un argument de plus pour penser que les prix de l’aliment risquent de rester soutenus pour un moment.
« L’énergie » du désespoir
L’augmentation du prix du gaz naturel est éloquente : habituellement aux alentours de 20-30 €/MWh en Europe, les cotations ont frôlé les 350 €/MWh et se situent aux alentours des 220 €/MWh.
Les conséquences de cette multiplication par 10 sont difficilement imaginables, d’autant qu’il s’agit de prix de marché qui mettent du temps avant de se répercuter dans les factures des utilisateurs. Néanmoins, l’agriculture est directement concernée, avec des expositions variables selon les productions. Le hors-sol risque là encore d’être le plus affecté, car le chauffage des bâtiments est une dépense non négligeable. En volaille de chair, l’Itavi estime que le chauffage représentait 2,6 % du coût de production d’un poulet standard en 2019, l’électricité 1,3 %. En porc, l’eau et énergie comptaient en 2021 pour plus de 3 % du coût de production. La forte hausse du prix du gaz et de l’électricité concourt là aussi à augmenter les coûts de production, même si des dispositifs d’aides sont actuellement mis en place par le gouvernement.
Au maillon agricole s’ajoute le maillon industriel. La plupart des entreprises agroalimentaires sont de grosses consommatrices d’énergie, leurs coûts de production vont donc monter en flèche. Étant donné l’état des relations entre l’Occident et la Russie, il y a peu de probabilités que ces prix retrouvent leurs niveaux antérieurs. C’est donc sans doute l’enjeu de ces prochains mois : l’adaptation des chaînes de production à une énergie très onéreuse et rare, avec à la clef de probables réductions d’activité et l’abandon possible des transformations les plus énergivores et les moins valorisées.
Autres dommages collatéraux
Bien que les exploitations doivent faire face à cette envolée de leurs coûts, leur situation économique reste généralement correcte grâce à une hausse tout aussi importante des prix de vente dans la plupart des productions. En effet, un grand nombre de marchés agricoles sont confrontés à une offre réduite, pour des raisons d’ailleurs sans lien direct avec le conflit en Ukraine.
Cette bonne tenue des prix de vente dépendra cependant d’un facteur : le consommateur. Celui-ci va devoir faire face à un budget de plus en plus serré. En septembre, l’inflation des produits alimentaires atteint déjà 9,9 % sur un an d’après l’Insee.
Les Français vont continuer à manger mais vont sans doute privilégier de plus en plus les produits les moins chers. Les difficultés actuelles du bio en sont un symptôme. Les volumes de vente reculent, l’assortiment en produits bio en grandes surfaces a déjà chuté de 10 % sur un an en juillet 2022. On peut donc s’attendre à ce que les produits à plus forte valeur ajoutée soient pénalisés ces prochains temps. La consommation de viande pourrait aussi être affectée. Le dernier risque pour le secteur concerne celui de la compétitivité. Jusqu’à présent, l’Europe bénéficiait de prix de l’énergie peu élevés, notamment grâce aux gazoducs la reliant à la Russie. Son énergie coûtera désormais plus chère que dans beaucoup d’autres régions du monde, mettant encore plus à mal une compétitivité déjà fragile.