Séjour dans l’Angleterre de l’après-PAC

Avec le Brexit, l’Angleterre a retrouvé sa souveraineté en matière de politique agricole. Elle a arrêté progressivement les aides découplées et les remplace par des primes incitant à préserver l’environnement. Cette nouvelle approche est porteuse d’interrogations sur le niveau d’adhésion des agriculteurs et sur ses conséquences économiques et environnementales. Cette politique agricole pourrait-elle aussi inspirer la PAC à l’avenir ?

Ayant des attaches familiales de l’autre côté de la Manche, j’ai passé quelques jours cet été en Angleterre. L’occasion pour moi de souffler à une période où la France était confrontée à des températures caniculaires. L’occasion aussi de revoir des pâturages verts, alors que ceux de Bretagne étaient grillés depuis plusieurs semaines déjà. Car si le sud de l’Angleterre était aussi confronté à une sécheresse historique, ma destination, au nord ouest du pays, ne connaissait pas de déficit hydrique. Autrement dit, il avait beaucoup plu !

Et pourtant, à part la verdure, je me suis rapidement rendu compte que quelque chose avait changé dans ces paysages familiers. Le pré situé à côté de mon lieu de résidence semblait en friche. Il était auparavant toujours bien entretenu, des vaches y passant régulièrement. On me confirma que celles-ci n’y avaient pas mis les sabots cette année et que si l’herbe n’avait pas été coupée cette année, c’était pour favoriser la biodiversité.

Exemple de pré vu en Angleterre

Je me suis alors demandé pourquoi l’agriculteur avait pris cette décision qui allait à coup sûr affecter sa rentabilité. Quel dispositif de la PAC pouvait encourager ce choix ? PAC – Union européenne – Brexit… Mais bien sûr, le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne formellement depuis le 31 décembre 2020 et n’est donc plus sous le régime de la PAC ! Ce pré semblant à l’abandon était sûrement le résultat de la nouvelle politique agricole anglaise mise en place après le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne.

De la PAC à des paiements pour services environnementaux

Après quelques recherches, il ressort que le Royaume-Uni a effectivement décidé d’en finir avec les systèmes de paiements directs attribués en fonction de la surface cultivée. Ce mouvement se fait progressivement, les paiements diminuant année après année pour s’arrêter en 2028, soit sept ans après le départ du pays de l’UE. Les enveloppes libérées seront affectées à une nouvelle politique dont la philosophie se résume par le slogan : « De l’argent public pour des biens publics ». Autrement dit, l’argent que recevront les agriculteurs anglais fera l’objet d’un engagement de leur part. Ce qui veut aussi dire que les subventions ne seront plus distribuées à tous les agriculteurs mais seulement à ceux qui sont intéressés par les dispositifs proposés. Il est donc très probable qu’une proportion importante d’agriculteurs se retrouve sans aides. Comme ce graphique le montre, les agriculteurs anglais étaient dépendants des aides PAC. Le manque à gagner pourrait être très important pour certains d’entre eux. Les DPB (BPS en anglais) représentaient entre 10 et 100 % des revenus des exploitations anglaises, 40 % pour les laitières.

Figure : Revenu de l’entreprise agricole par source de revenu (agricole, issu des mesures agri-environnementales, diversification, DPB)

Traductions :
Income from BPS % : part des DPB dans le revenu de l’exploitation
Cereals = exploitations céréalières ; General cropping = polycultures ; Dairy = exploitations laitières ; Grazing livestock (lowland) = Ruminants (de plaine) ; Grazing livestock (LFA) = Ruminants (zone à handicap naturel) ; Specialist pigs = exploitations porcines spécialisées ; Specialist poultry = exploitations avicoles spécialisées ; Mixed = polycultures polyélevages ; Hort = exploitations horticoles

La préservation de l’environnement sera sans surprise l’objectif principal de la nouvelle politique agricole anglaise. Différents programmes sont déjà en place. Ils visent à accroître la biodiversité, restaurer les paysages, améliorer le bien-être animal et la productivité par l’investissement dans de nouveaux équipements et technologies. Certains programmes ne seront ouverts que dans des zones spécifiques, d’autres à tous les agriculteurs. Le plus important est la Prime pour une Agriculture Durable (Sustainable Farming Incentive en anglais). Le détail de cette mesure se trouve ici. Concrètement, l’agriculteur devra mettre en place différentes mesures visant à améliorer l’environnement et bénéficiera en retour d’une prime dont le montant variera selon le degré d’engagement. La politique agricole anglaise ressemble donc désormais à nos MAEC.

Quelles conséquences pour les agriculteurs et quels enseignements ?

L’organisme britannique AHDB a réalisé une étude qui a pour objectifs d’évaluer l’intérêt de ces primes pour les exploitations et de mesurer l’appétence des agriculteurs pour ces nouveaux programmes. Les résultats sont accessibles ici. Il en ressort que si certaines exploitations pourraient améliorer leur rentabilité en souscrivant à certains programmes, la majorité n’ont que peu à y gagner, voire verraient leur rentabilité affectée. Dans tous les cas, ces primes ne compensent pas la perte des DPB, et pour cause puisqu’elles nécessitent des changements de pratiques qui affectent la production. Il ressort aussi du petit échantillon d’agriculteurs enquêtés que seuls ceux qui n’ont pas besoin de beaucoup faire évoluer leur système seraient prêts à s’engager dans ces contrats. Ce qui fait dire à AHDB que ce système n’aurait que peu d’effets en termes d’amélioration de l’environnement au Royaume-Uni. A la lecture de ce rapport, on s’interroge aussi sur l’objectif affiché par le gouvernement anglais d’enrôler 70 % des agriculteurs dans ce dispositif.

Le système étant nouveau, les choses ont besoin de se mettre en place et des interrogations vont progressivement être levées. Il sera intéressant de voir comment ces dispositifs vont évoluer, quelles seront les réactions des agriculteurs et pour quels effets sur l’environnement et l’économie des fermes ?

Du temps de son appartenance à l’UE, le Royaume-Uni a toujours milité pour « verdir » la PAC. Il n’est donc pas étonnant qu’il décide d’accélérer une fois sa souveraineté agricole retrouvée. Même si le pays n’est plus dans l’UE, il peut garder de l’influence, notamment en servant de modèle auprès d’autres pays du nord de l’Europe qui possèdent la même fibre environnementale. Est-ce que sa politique actuelle servira d’inspiration dans le futur à la PAC ?

Pour finir, une remarque d’ordre plus général. Cette priorité donnée à l’environnement pour l’agriculture se retrouve très largement partagée dans la société britannique. Un exemple est le « rewilding » que l’on peut traduire par « retour à la nature ». Des projets de plantations de forêts émergent en Ecosse par exemple, avec l’idée de restaurer les paysages tels qu’ils existaient avant l’arrivée de l’homme. Certains jardins de particuliers, habituellement tirés au cordeau, sont délibérément laissés « en friche » pour favoriser la faune. Cette politique agricole anglaise applique donc cette aspiration sociétale à ce secteur. Un agriculteur à la retraite me confia : « je ne sais pas trop ce qu’on va manger à l’avenir, mais on verra ! ». Le Royaume-Uni étant autosuffisant à 60 %, la souveraineté alimentaire ne se comprend certes pas de la même manière qu’en France chez qui elle est synonyme d’indépendance. L’agriculture n’est clairement pas un secteur économique prioritaire pour ce pays mais garde un rôle patrimonial fort pour ses sujets.

Rédigé par Arnaud Haye

Chargé de mission Economie - Emploi, référent sur les filières viande bovine, porc et volailles de chair

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