

La filière laitière bretonne face à la montée du protectionnisme
La guerre entre la Russie et l’Ukraine en 2022 a posé le dernier clou sur le cercueil du multilatéralisme et de l’OMC, qui a progressivement été remplacée par une bilatéralisation des échanges, à travers notamment la multiplication des accords commerciaux internationaux. Ces derniers restent fragiles et font face à une montée du protectionnisme à travers le monde depuis plusieurs années, à contre-courant des volontés européennes. Ce mouvement pourrait, à terme, fragiliser la filière laitière bretonne.
Une montée du protectionnisme de toute part
Depuis quelques mois, de nombreux évènements géopolitiques et économiques bousculent de façon considérable l’agriculture européenne, et en particulier la filière laitière :
- Les tensions politiques entre l’Algérie et la France ont entrainé la chute des ventes européennes de poudre de lait. L’Union européenne (UE) n’a pas exporté le moindre gramme de poudre de lait écrémé vers l’Algérie au cours du premier semestre 2025 alors qu’elle en avait exporté 14 300 tonnes sur la même période en 2024.
- Ce 27 juillet 2025, les droits de douane pour les exportations européennes vers les États-Unis ont été fixés à 15 % pour la majorité des produits exportés, alors qu’ils étaient en moyenne de 4,8 % auparavant. Dans le même temps, l’UE s’est engagée à ouvrir un quota de 20 000 tonnes sans droits de douane pour les exportations étasuniennes de fromage. L’UE s’est aussi engagée à retravailler des barrières non-tarifaires telles que des normes sanitaires et environnementales.
- En réponse à des surtaxes imposées sur les batteries électriques importées de Chine, le géant asiatique mène plusieurs enquêtes anti-dumping sur les produits agricoles européens, dont une qui concerne les produits laitiers. Celle-ci devrait se terminer en février 2026 et pourrait aboutir alors à la mise en place de droits de douane supplémentaires pour des produits laitiers importés depuis l’UE : laits et crèmes dépassant de 10 % de matière grasse ainsi que plusieurs catégories de fromages.
Un enjeu pour la filière laitière française
C’est dans ce cadre que le Cniel a réuni cet été des experts pour une table ronde avec la présence du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. L’enjeu international est en effet primordial pour la filière laitière française, qui exporte 40 % de sa production.
Les experts font le constat que les produits laitiers européens ne sont pas ciblés par hasard. Les États-Unis, cherchant à réduire leur déficit commercial, font du fromage un fer de lance de leurs exportations agroalimentaires dans un contexte de dollar faible leur attribuant une forte compétitivité. De son côté, la Chine est en surcapacité de production en crèmes et souhaite donc écouler ses volumes sur le marché intérieur sans souffrir de la concurrence internationale.
Les experts relèvent cependant que la filière laitière française dispose d’un avantage important : la forte internationalisation de ses outils de transformation. C’est le cas, par exemple, de Lactalis qui est la 1ère entreprise laitière au Brésil, mais aussi de Sodiaal avec le rachat cette année de Yoplait au Canada. Cela permet aux entreprises françaises de contourner certaines barrières commerciales.
Un désengagement qui ne date pas d’hier
La Chine est le 6e client de la filière laitière bretonne en 2024. Avec plus de 65 millions d’euros importés de Bretagne, le géant asiatique représente 8 % des exportations de produits laitiers bretons. Cependant, le pays réduit ses importations depuis trois ans, et la France comme la Bretagne sont concernées. Ainsi, les exportations bretonnes de produits laitiers vers la Chine ont diminué de 43,6 % en valeur entre 2021 et 2024. En volume, la chute est plus remarquable : -53,9 % !
L’Algérie se positionne à la 17e place dans le classement des importateurs de produits laitiers bretons en 2024. Si en 2025 les importations algériennes de poudre de lait écrémé soient réduites à néant, la politique d’exclusion des produits laitiers a commencé dès 2024. Ainsi, en 2023 et 2024, les exportations bretonnes de produits laitiers vers l’Algérie ont diminué de plus de 60 %, que ce soit en volume ou en valeur ! Il y a trois ans, l’Algérie était le 7e client de la filière laitière bretonne. Plus généralement, le pays met en œuvre une politique d’incitation à la production nationale depuis plus de dix ans afin de réduire sa forte dépendance aux importations de poudres de lait. Par ailleurs, dès 2022 l’Algérie a cherché à diversifier ses approvisionnements, notamment en signant un contrat avec l’Ouganda pour l’importation de 120 000 tonnes de poudres.
Enfin, du côté des États-Unis, même constat de repli. Avec près de 12 millions d’euros de produits importés, le géant américain est en 2024 le 18e client de la filière laitière bretonne. Bien que toujours un client important, en 2021 les États-Unis étaient encore le 9e client. En trois ans, les exportations bretonnes de produits laitiers vers les États-Unis ont chuté de 43,6 % en valeur.
Exportations des produits laitiers bretons en valeur et par pays/zones géographiques
2022 | 2024 | Evolution 2022-2024 | Part dans les exportations en 2024 | |
Chine | 107,7 M€ | 65,9 M€ | -38,8 % | 5,9 % |
Algérie | 32,8 M€ | 12,9 M€ | -60,6 % | 1,2 % |
Etats-Unis | 31,0 M€ | 11,8 M€ | -61,8 % | 1,1 % |
Total UE | 597,2 M€ | 572,8 M€ | -4,1 % | 51,5 % |
Total pays tiers | 607,9 M€ | 538,5 M€ | -11,4 % | 48,5 % |
Total | 1 205,2 M€ | 1 111,4 M€ | -7,8 % | 100 % |
(source : Douanes)
Quels risques pour la filière laitière bretonne ?
Ainsi, les mouvements récents de ces pays suivent une trajectoire amorcée depuis plusieurs années. Toutefois, les exportations de produits laitiers bretons ne sont pas pénalisées, puisqu’entre 2021 et 2024 elles ont augmenté de 11,2 % en valeur et ont progressé de 1,2 % en volume.
Après une période de développement vers les pays tiers, la filière se recentre sur le marché européen depuis plusieurs années. Alors que les volumes exportés vers les pays tiers ont diminué de 6,4 % en trois ans, ils ont augmenté de près de 10 % vers les pays européens.
Côté grand export, les industriels bretons ont su se déporter vers d’autres marchés. La baisse des exportations vers la Chine s’est ainsi traduite par une hausse des exportations vers l’Asie du Sud-Est. L’Indonésie a augmenté de 66 % ses importations de produits laitiers bretons entre 2023 et 2024. L’accord de libre-échange conclu récemment avec l’UE va permettre de poursuivre cette dynamique. C’est aussi le cas pour les poudres de lait écrémé, qui sont exportées vers la Libye (+236 % d’exportations entre 2023 et 2024, tous produits laitiers confondus) ainsi que vers l’Égypte (+36 %). Pour cette dernière, cela est permis grâce à un accord qui réduit à zéro les droits de douane pour les poudres de lait en provenance de l’UE.
Ce dernier point montre bien que, au-delà de certaines relations commerciales historiques, la question des droits de douane est cruciale pour assurer la compétitivité de nos filières à l’international. La filière laitière bretonne bénéficie du marché sécurisé qu’est l’UE, sur lequel elle parvient à être compétitive. Mais cela n’est pas suffisant. L’ouverture vers d’autres marchés est en partie conditionnés à des accords commerciaux favorables. Si la montée du protectionnisme à travers le monde se poursuit, les industriels bretons pourraient, à terme, en faire les frais.