La filière laitière française a-t-elle perdu en compétitivité ?
Fin janvier 2024, FranceAgriMer a publié un rapport intitulé « Facteurs de compétitivité sur le marché mondial des produits laitiers ». A partir des données de 2022, ce rapport évalue les principaux pays exportateurs de produits laitiers selon six axes de compétitivité sur le marché mondial, et établit un classement. Cette évaluation est réalisée tous les ans depuis dix ans. Pour la première fois depuis 2014, la France n’est pas première de ce classement. L’occasion d’analyser les atouts qui ont permis à la filière française de se positionner en tête, et les causes qui ont dégradé sa compétitivité en 2022.
La France, meilleure sur la capacité à conquérir les marchés
C’est la grande qualité de la filière française. La France a en effet une très forte polyvalence sur l’offre en produits laitiers. Outre sa présence sur tous les marchés des commodités laitières, la France bénéficie surtout d’une offre très large de fromages AOP et IGP. Par ailleurs, les montants investis dans la filière sont parmi les plus importants au monde. Enfin, certains industriels français (Danone, Lactalis) sont fortement implantés à l’international, ce qui permet à la filière de répondre plus facilement aux demandes de ces marchés étrangers. Toutefois, cela ne permet pas à la France d’être en tête sur l’axe « portefeuille des marchés », la France ayant pour faiblesse d’avoir une certaine dépendance au marché européen. En effet, 55 % des exportations françaises sont à destination du marché européen (49 % pour les exportations bretonnes, les acteurs régionaux apparaissent en moyenne un peu plus internationalisés).
Une bonne capacité d’organisation des filières
La filière française est aussi bien classée (2e derrière la Nouvelle-Zélande) en termes de capacité d’organisation. Deux atouts, en particulier, lui permettent de tenir sa bonne position sur cet axe. Encore une fois, l’existence d’industriels à dimension internationale est favorable à la filière. La concentration du tissu industriel et son rayonnement à l’international font en effet partie des items mobilisés pour évaluer la structuration de la filière. Sur ce dernier point, la France est largement avantagée avec la présence de quatre entités (Lactalis, Danone, Savencia et Sodiaal) parmi les vingt plus grandes industriels laitiers mondiaux en termes de chiffre d’affaires, selon Rabobank. Autre avantage, la France bénéficie d’un réseau de recherche publique important et reconnu à l’international.
Un fort déclin en potentiel de production
Le principal facteur qui a entrainé le détrônement de la filière française est le potentiel de production. En particulier, en 2022, la France est mal positionnée sur deux items évalués :
- Le volume produit comparé au volume moyen des trois années précédentes. Sur ce point, la France souffre d’une production déclinante liée principalement à la décapitalisation du cheptel bovin laitier à l’œuvre depuis 2019. Cette baisse de production n’est pas sans conséquence : déjà non autosuffisante en beurre, la France pourrait perdre son autosuffisance en lait dès 2027 selon le Cniel.
- La marge sur le coût alimentaire est relativement faible et progresse moins rapidement que celle des pays concurrents. Sur ce point, la France était pourtant première en 2020 et son coût alimentaire est relativement bas. Mais, en 2022, les producteurs de nombreux pays tournés vers l’export (Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Irlande, etc.) ont pu bénéficier de la forte inflation sur les marchés mondiaux de produits laitiers, et ont donc vu leur marge sur le coût alimentaire fortement progresser. En France, la production plus tournée vers le marché intérieur, ainsi que le modèle de rémunération, n’ont pas permis aux éleveurs de profiter autant de cette conjoncture positive. Ce même modèle de rémunération, qui lisse les effets de la volatilité des marchés, était d’ailleurs montré comme un atout dans le rapport précédent, les éleveurs français profitant alors de prix plus avantageux.
Mettre en lumière les forces et les faiblesses
Malgré les nombreux items évalués pour chacun des pays (37 au total), ce travail d’évaluation conserve une part d’arbitraire et peut être discuté. Cependant, il permet de mettre en lumière les grandes forces et faiblesses de la filière française et des principaux pays concurrents sur les marchés mondiaux. Il présente aussi les principales menaces qui pèsent sur la filière française.
Nous observons que la perte de compétitivité de la filière française est en partie liée à la conjoncture exceptionnelle de 2022. Cette année-là, en moyenne, le prix payé aux producteurs français est près de 20 % inférieur au prix payé aux producteurs néerlandais. En 2023, il est de 2,2 % supérieur et les éleveurs français ont alors à nouveau bénéficié d’une marge sur le coût alimentaire plus importante que dans la plupart des autres pays concurrents. Néanmoins, cette plus forte régularité des prix et des niveaux de marge est-elle suffisante pour stimuler la confiance, l’envie de produire et l’investissement dans les entreprises agricoles ? Ainsi, la menace sur les baisses de volumes est bien réelle et nuit, entre autres, à la compétitivité française. D’autres éléments, tout autant structurels, n’ont pas été abordés ici, comme le niveau d’endettement des éleveurs et les pressions environnementales.