Des clés pour comprendre le succès de l’élevage espagnol
Depuis une dizaine d’années, l’Espagne connaît une forte croissance de son élevage porcin et bovin. Un rapport de l’Institut de l’Elevage explore les raisons de ce succès. L’organisation des filières et les choix technico-économiques ont permis à l’Espagne d’être très performante et de conquérir des marchés. Malgré tout, l’élevage ibérique fait face à des contraintes d’ordre environnemental et climatique qui pourraient tempérer le dynamisme actuel.
L’agriculture est un secteur important de l’économie espagnole. Avec l’agroalimentaire, elle pèse environ 5 % du PIB national. Étant très excédentaire, elle participe favorablement à la balance commerciale du pays. Fortement secouée par la crise économique de 2008, l’Espagne s’est appuyée sur ce secteur pour relancer son économie. Force est de constater que les résultats sont là. L’élevage bovin et porcin y a contribué en connaissant une forte croissance depuis une dizaine d’années.
Une croissance tournée vers l’export
Le rapport de l’Institut de l’Elevage rappelle que l’Espagne est devenue le premier producteur de porcs au sein de l’UE. Entre 2012 et 2022, ses abattages ont augmenté de 45 % et atteignent aujourd’hui 5 millions de tonnes. L’export représente 54 % de ces volumes.
En viande bovine, le constat est semblable. La croissance est de 24 % sur dix ans. Avec 732 000 tonnes produites en 2022, l’Espagne est le quatrième producteur de viande bovine dans l’Union européenne. Comme le montre le graphique ci-dessous, l’essentiel du développement des volumes a pris la direction de l’exportation.
Consommation espagnole de viande bovine
Alors que la consommation reste relativement stable, 35 % des abattages ibériques de bovins sont destinés à l’export, essentiellement vers l’UE.
Ce dynamisme remarquable de l’Espagne, surtout lorsque l’on compare à ses voisins européens, s’appuie principalement sur deux leviers. Le premier est la croissance de son cheptel allaitant, de 17 % en dix ans. Le second est le développement de l’engraissement de veaux laitiers importés, majoritairement de France. Les filières françaises de veaux de boucherie et d’engraissement de jeunes bovins laitier étant en déclin, les acteurs français se sont de plus en plus tournés vers l’Espagne pour trouver un débouché à leurs veaux nourrissons.
L’institut de l’élevage relève cependant que les ateliers d’engraissement espagnols de veaux laitiers ont atteint leur pleine capacité comme en témoigne le plafonnement des importations. L’Espagne pourrait donc prochainement ne plus offrir de débouchés supplémentaires aux veaux laitiers français.
Une organisation performante
Les filières viande bovine et porcine espagnoles sont conquérantes grâce à une forte compétitivité-prix. L’organisation des filières explique pour partie ce succès. La filière viande bovine a copié le modèle porcin, au moins sur la partie engraissement des bovins. Celui-ci s’apparente à de l’intégration. En porc, 70 à 80 % des porcs produits proviennent d’élevages contractualisés, sous-traitants d’intégrateurs. Ces intégrateurs contrôlent la production, fabriquent l’aliment et sont souvent propriétaires des élevages naisseurs. Certains intégrateurs ont aussi investi dans l’aval afin de maîtriser l’ensemble de la filière. Ce modèle peut aussi permettre de générer des économies d’échelle.
En viande bovine, au moins pour l’engraissement de veaux laitiers, c’est aussi le modèle de l’intégration qui prévaut. L’éleveur reçoit une prestation fixe par bovin engraissé plus, si l’éleveur le souhaite, une partie variable indexée sur la marge réalisée par le lot.
Au-delà de cette organisation de filière, les choix techniques expliquent aussi les performances espagnoles. Les élevages ont des charges de structures faibles. Les bâtiments sont souvent très simples et âgés. Les éleveurs cherchent à engraisser le plus rapidement possible avec une ration sèche et très énergétique. Cela est rendu possible par un âge d’abattage du bovin très jeune (moins de 12 mois), les bouchers locaux recherchant des petits formats. Il y a aussi une standardisation de la production. Pour l’engraissement des veaux laitiers, ceux-ci passent d’abord par des élevages spécialisés dans le sevrage avant d’être engraissés dans d’autres élevages à partir de 3,5 mois.
Les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel
Les filières d’élevages espagnoles sont donc très performantes et les éleveurs dynamiques. Est-ce que la croissance de ces dix dernières années peut se prolonger longtemps ? Le rapport de l’Institut de l’élevage ne répond pas à cette question mais relève les contraintes qui vont peser sur le secteur.
L’eau est la première. Il y a une concurrence entre les différentes productions. De plus, le pays connaît des sécheresses de plus en plus récurrentes. La dernière a commencé l’année précédente et explique le recul du cheptel bovin fin 2022, une première depuis dix ans. L’enjeu environnemental est aussi très prégnant. La Commission européenne estime ainsi que l’Espagne doit prendre des mesures supplémentaires sur la gestion des nitrates. Les objectifs de réduction des gaz à effet de serre pourraient aussi affecter les niveaux de production, même si l’échéance est pour l’instant plus lointaine. Le rapport cite enfin l’usage des antibiotiques comme un enjeu pour la filière espagnole. Celle-ci en consomme encore trop. Elle devra en réduire son usage ce qui pourrait réduire la productivité des animaux.
Enfin, une des faiblesses du secteur est sa dépendance aux importations de céréales et de matières azotées. Il en résulte que le coût de l’aliment est plus élevé qu’en France et l’approvisionnement dépendant des aléas géopolitiques. La guerre en Ukraine a ainsi inquiété le secteur puisqu’une partie des céréales proviennent de ce pays.
Au vu de ces contraintes, l’Espagne pourrait donc bientôt atteindre un plafond dans ses productions animales. Cela atténuerait la pression concurrentielle qu’exerce ce pays sur les filières françaises, notamment porcine.
Merci pour la qualité de cette note. En Algérie, nous sommes très intéressés par ce modèle même si l’évolution du climat nécessitera de venir à plus de raison. Djamel BELAID, ingénieur agronome auteur de « L’agriculture en Algérie. Ou comment nourrir 45 millions d’habitants en temps de crise » Editions l’Harmattan (Paris), 256 pages, 2021.