Suppression des aides pour certains élevages bovins afin de réduire les cheptels ?
La Cour des comptes a récemment publié un rapport intitulé « Les soutiens publics aux éleveurs de bovins ». Ce document est téléchargeable ici. Il a particulièrement fait réagir car il mettait en avant l’engagement de la France à réduire ses gaz à effet de serre ce qui d’après le rapport doit conduire à une baisse du cheptel bovin. Nous y reviendrons.
La première partie du rapport s’applique à analyser les soutiens publics actuels au secteur et à déterminer s’ils sont efficaces ou non.
Des performances économiques moyennes malgré des aides substantielles
Les auteurs rappellent qu’avec 4,3 Md€ d’aides publiques par an, l’élevage bovin est l’activité agricole la plus subventionnée en France. Ils écrivent :
Alors que les subventions représentent en moyenne environ 44 % de l’EBE (excédent brut de l’exploitation) et 81 % du RCAI (résultat courant avant impôt) des exploitations agricoles en France sur la période 2002-2020, elles représentent respectivement 60 % et 94 % de l’EBE, ainsi que 127 % et 192 % du RCAI des exploitations d’élevage de bovins mixtes et des exploitations d’élevage de bovins allaitants.
Malgré ces aides, les auteurs notent que les élevages de bovins allaitants présentent un EBE proche de la moyenne des exploitations françaises. Ils montrent par ailleurs que si les revenus sont plus faibles, une partie importante des recettes vont à la capitalisation car c’est une production nécessitant beaucoup de capitaux.
La Cour des compte estime que ces aides ont permis de maintenir le potentiel de production bien que celui-ci s’érode ces dernières années. Elle pointe aussi une production de viande qui ne s’est pas adaptée aux évolution de la consommation.
Un constat à relativiser et à questionner
Certes, l’élevage bovin, et plus particulièrement l’allaitant, reçoit plus d’aides que les autres productions. Le graphique ci-dessous explique pourquoi.
Les élevages bovins touchent en moyenne bien plus d’aides au développement rural. Cette production est adaptée aux territoires ayant des handicaps naturels et est donc subventionnée pour favoriser l’activité agricole dans ces secteurs défavorisés. Pas pour produire de la viande en tant que tel.
Les aides bovines sont les seuls paiements publics spécifiquement dédiés aux bovins. Elles représentent effectivement une part importante des aides reçues par ces élevages. Une critique qu’aurait pu émettre la Cour des comptes est qu’elles sont sans doute en partie la cause de la mauvaise adaptation de la filière à l’évolution de la consommation. En encourageant « artificiellement » l’élevage de bovins allaitants alors que les consommateurs se tournent massivement vers la viande hachée, les aides publiques ralentissent l’émergence de modèles de production plus adaptés : engraissement de jeunes bovins croisés par exemple.
Plus généralement, la Cour des comptes porte un regard comptable sur les aides publiques et leurs effets. Celles-ci représentant plus de 100 % du revenu des éleveurs, si elles disparaissaient ou se réduisaient, le secteur serait d’après elle en péril. Cette conclusion ignore les rééquilibrages qui auraient lieu : la demande ne disparaissant pas du jour au lendemain, un rééquilibrage par le prix se ferait et les élevages retrouveraient une rentabilité même sans aide. Plus généralement, on ne constate pas de corrélation évidente entre le niveau de soutiens publics et la performance d’un secteur. L‘élevage porcin n’a jamais reçu d’aides publiques et est pourtant un secteur performant.
Une réduction des émissions de gaz à effet de serre prime sur les autres aspects environnementaux et sociaux
Avant de proposer un nouveau système d’aides, la Cour des Compte estime que le fonctionnement actuel ne prend pas suffisamment en compte les objectifs environnementaux et socio-économiques, en particulier en ce qui concerne les engagements de réduction des gaz à effet de serre pris au niveau national.
Dans le cadre de la COP26, plus d’une centaine de pays se sont engagés à réduire leurs émissions de méthane de plus de 30 % d’ici à 2030 (par rapport à 2020).
Dans ce cadre, la Cour des comptes estime que seule une réduction de la taille du cheptel de bovins permettrait d’atteindre cet objectif. Elle fustige d’ailleurs le Ministère de l’agriculture qui ne propose que des leviers techniques sans acter la nécessité de piloter une réduction des effectifs de bovins.
C’est cette partie du rapport qui a fait réagir, en premier lieu les éleveurs.
On peut certes critiquer la Cour des comptes, par exemple en ne s’intéressant pas du tout à l’aspect consommation, ce qui laisse supposer que la baisse des cheptels pourrait être compensée par la hausse des importations de viande. Mais elle ne fait finalement que rappeler des engagements pris par la France au plus haut sommet de l’État.
A son corps défendant, la Cour des comptes fait aussi ressortir combien les objectifs de réduction de GES sont souvent en opposition frontale avec d’autres objectifs environnementaux et sociaux. L’institution rappelle que l’élevage est important pour les cycles biogéochimique, l’économie et l’identité des territoires. Donner la primauté à la réduction des GES détériore d’autres aspects environnementaux et sociaux, déjà en faisant régresser les prairies, mais aussi en favorisant des pratiques qui ont des externalités environnementales négatives : intensification, concentration des zones de production, etc. A titre d’illustration, on peut citer l’agriculture biologique qui fournit de nombreuses externalités positives, mais qui émet plus de GES que l’agriculture conventionnelle. Le rapport ne fait volontairement pas ressortir ces contradictions, mais l’objectif de réduire les GES s’impose de fait sur les autres souvent à leur détriment.
Des aides pour trier les élevages et réduire les cheptels
Jugeant donc le dispositif actuel d’aides « insuffisamment discriminant et très coûteux », la Cour des compte en arrive au cœur de son propos : cibler les exploitations afin de leur attribuer des aides de manière différenciée en fonction de leurs caractéristiques économiques et leurs externalités environnementales et sociétales.
Selon cette proposition, la baisse des cheptels se ferait par l’arrêt des élevages retenus comme pas assez performants économiquement et au niveau de leurs externalités environnementales et sociétales. Le principe de ce potentiel nouveau dispositif de soutiens publics est donc radicalement différent du système actuel où les aides sont ouvertes à toutes les exploitations. Le rapport ne rentre pas dans le détails de ces critères. Or comme on l’a vu, les externalités environnementales et sociétales sont parfois contradictoires.
Ces propositions sont en rupture avec les systèmes de soutien public précédents. Elles avancent des méthodes directives et radicales pour arriver aux objectifs affichés de réduction des cheptels et d’amélioration des externalités environnementales et sociétales et de sélection des élevages les plus performants économiquement.