Bigard : moins exporter pour limiter les effets de la décapitalisation
Auditionné par une commission de l’Assemblée nationale, Jean-Paul Bigard, président-directeur de Bigard, détaille les pistes mises en place par son entreprise pour contrecarrer la baisse des effectifs en élevage. Il se défend de toute responsabilité dans le déclin de l’élevage en France, arguant qu’il utilise son poids pour tirer les prix vers le haut. Les différentes lois Egalim ne sont pas une solution d’après lui.
Le 30 mai dernier, Jean-Paul Bigard, président-directeur du groupe éponyme, a été auditionné par une commission d’enquête de l’Assemblée nationale.
Cette commission a pour objectif « d’établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la France ». L’audition a duré deux heures et a finalement très peu porté sur les solutions pour améliorer l’indépendance alimentaire française. Elle s’est plus focalisée sur l’application par le groupe Bigard des différentes lois Egalim.
Jean-Paul Bigard a néanmoins mentionné une des stratégies mises en place par son entreprise afin de contrecarrer la baisse des effectifs de vaches.
Engraisser les jeunes bovins plutôt que les exporter
Le PDG du groupe Bigard a rappelé que la France comptait 23 millions de bovins il y a quelques années (il y a 40 ans NDLR) contre 17 millions aujourd’hui. Or notre pays exporte tous les ans environ un million de bovins vivants vers d’autres pays européens, Italie en tête. M. Bigard explique donc que son groupe essaye de garder ces animaux pour les engraisser en France.
Pour cela, Jean-Paul Bigard ajoute qu’il accompagne des coopératives et des éleveurs, y compris financièrement. Il le fait à leur demande, faute de financement de la part des banques. Il décrit brièvement un modèle qui s’apparente à de l’intégration : Bigard reste propriétaire des jeunes bovins et rémunère les éleveurs pour leur travail. M. Bigard confirme donc une analyse qui avait déjà été faite lors de l’étude menée par la Chambre d’agriculture de Bretagne en 2023.
Il ressort de son entretien que si l’aval, le groupe Bigard en particulier, s’implique de plus en plus dans l’amont par la prise de participation et des accompagnements financiers des coopératives et des éleveurs, c’est à son corps défendant et non par choix délibéré. D’après lui, la raison est que les banques refusent d’accompagner les éleveurs et demandent des garanties de la part de l’aval. Dans une autre partie de l’entretien, M. Bigard explique qu’il utilise le poids de son entreprise pour soutenir les cours des bovins.
Un poids suffisant pour influer sur les cours
Les députés ont interrogé Jean-Paul Bigard sur la responsabilité de son groupe dans la décapitalisation en cours des cheptels français. Ce à quoi M. Bigard a répondu qu’il utilise le poids de son entreprise pour pousser le marché vers le haut. Il explique ainsi que son entreprise a initié une démarche d’augmentation des prix auprès de la grande distribution notamment à partir de la crise Covid. Pour preuve de sa démonstration, M. Bigard rappelle que les bovins français sont les mieux payés d’Europe.
Ces déclarations soulèvent plusieurs remarques. Concernant le poids de l’entreprise, M. Bigard a rappelé qu’elle abattait 1 million de tonnes par an. Cela représente 38,5 % des abattages français de bovins, 22,4 % en porcs, 19,5 % en veaux et 20,7 % en ovins. C’est donc incontestablement l’acteur leader du secteur, qui semble capable de peser sur les marchés. D’autre part, il est vrai que les cotations françaises de bovins sont généralement supérieures à celles des pays voisins. Le graphique ci-dessous de l’Idele le montre pour la vache O.
Il est donc possible que le groupe Bigard joue un rôle dans ce différentiel entre les prix français et ceux des autres pays européens même si d’autres facteurs doivent aussi jouer comme l’étiquetage de l’origine des viandes en magasin, qui permet une certaine protection du marché national. En tout cas, cette situation montre que la taille de Bigard lui permet d’influer sur les équilibres de marché, ce qui est la définition d’un oligopole. Les filières alimentaires françaises voient donc des oligopoles industriels se confronter aux oligopoles de la grande distribution.
Les angles morts de l’audition de Bigard
Une large part des échanges se sont portés sur l’application des lois Egalim par Bigard. Bigard contractualise un volume de 3-4 000 bovins sur un total de 23 000 bovins. D’après M. Bigard, cette loi est inapplicable pour nombre de bovins, comme les vaches laitières de réforme par exemple. Par ailleurs, M. Bigard juge les lois Egalim comme « une usine à gaz » qui n’intègre pas la loi de l’offre et de la demande et la diversité de la valorisation des bovins (les prix varient sur une échelle de 1 à 3).
Dans une commission cherchant à établir les raisons de la perte de « souveraineté » (indépendance) alimentaire de la France, il est surprenant que les questions de compétitivité n’aient pas du tout été abordées. L’adéquation entre la consommation, tournée vers le haché, et le type de bovins produits en France n’a pas été évoquée non plus. Enfin, les enjeux de renouvellement des éleveurs ont aussi été absents des débats bien que M. Bigard ait mis en avant le danger du manque de bouchers pour la filière.