Bientôt des très grands élevages en Bretagne ?

Si les élevages laitiers bretons s’agrandissent plus rapidement depuis la fin des quotas laitiers, la taille moyenne des exploitations laitières reste modeste comparée à celles des autres grands pays producteurs laitiers européens. En particulier, la Bretagne est caractérisée par l’absence de très grands troupeaux laitiers, présents partout ailleurs en Europe. Pour combien de temps ?

Une dynamique d’agrandissement des élevages à relativiser

Depuis la fin des quotas, l’élevage laitier breton connait plusieurs évolutions majeures. En particulier, les élevages s’agrandissent fortement, passant de 55 vaches laitières en moyenne en 2008, à 82 vaches laitières en 2022. Toutefois, il faut relativiser cet agrandissement. La part des élevages supérieurs à 200 vaches laitières reste en effet très basse (à peine plus de 1 % des élevages laitiers fin 2023), et aucun ne dépasse les 500 vaches laitières. Les élevages comprenant entre 50 et 100 vaches laitières représentent quasiment la moitié des élevages laitiers bretons.

En taille moyenne d’élevages laitiers, la plupart des autres grands pays européens producteurs de lait sont relativement comparables à la Bretagne et à la France (voir le tableau ci-dessous). Néanmoins, dans certains pays du continent il existe des élevages de bien plus grandes dimensions. C’est ce qu’a montré Christophe Perrot, de l’Idele, pour une conférence à l’Académie d’Agriculture sur le développement des très grands troupeaux laitiers à travers le monde.

PaysTaille moyenne en UGB
France124
Allemagne124
Belgique146
Irlande150
Italie112
Pays-Bas136
Source : Eurostat – Nombre moyen d’UGB bovin par exploitation spécialisée en bovin lait et ayant plus de 10 UGB

Une exception française

Ainsi, plus de la moitié des vaches laitières du territoire sont présentes dans des élevages supérieurs à 500 UGB en Allemagne de l’Est, en Tchéquie, Slovaquie, Hongrie et en Estonie. Si ces élevages existent, ce n’est pas uniquement pour des raisons économiques. C’est avant tout un reliquat du passé soviétique et collectiviste de ces pays.

Au Danemark, le développement des très grands troupeaux est plus récent. Ils sont apparus avec l’arrêt des quotas laitiers, dans un objectif économique de dilution des charges. Cet agrandissement des exploitations danoises s’est fait au détriment de l’autonomie décisionnelle et financière des producteurs, les capitaux n’étant majoritairement plus familiaux. Ce modèle se développe aussi dans d’autres pays, comme en Espagne. C’est d’ailleurs dans ce pays qu’a été communiqué le plus gros projet d’installation européen, de 23 000 vaches laitières, en Castille-et-Léon.  

La France se démarque par sa très faible présence de troupeaux laitiers supérieurs à 500 UGB. Par ailleurs, ces troupeaux ont en moyenne seulement 142 vaches laitières, loin de la moyenne européenne qui se situe à 439 VL. Cette exception française permet de relativiser la dynamique d’agrandissement des troupeaux laitiers, parfois montrée du doigt par les associations de riverains et environnementales.   

Un modèle de grands élevages à envier ?

L’agrandissement des élevages en France est limité notamment par une faible acceptabilité sociale de ces projets. En témoignent les manifestations de riverains qui ont suivies l’annonce du projet de la ferme des 1000 vaches dans la Somme au début des années 2010, avant même sa concrétisation.

Les agriculteurs peuvent déplorer ces difficultés d’agrandissements. D’autant plus, lorsque le modèle danois apparait comme économiquement très rentable. Le RCAI* par UTA non salariée étant ainsi nettement supérieur au Danemark que dans les principaux pays producteurs européens depuis le milieu des années 2010. Le contexte inflationniste sur les marchés laitiers a même permis aux exploitations danoises d’avoir un RCAI/UTA non salariée moyen dix fois supérieur à celui des exploitations laitières françaises. Toutefois, comme le rappelle Christophe Perrot, ces valeurs ne sont pas comparables puisque le RCAI doit être partagé avec les différents actionnaires de l’exploitation danoise.

En Espagne, plusieurs leviers permettent le développement des très grands troupeaux. Tout d’abord, l’accès au foncier est facilité. Ces grands troupeaux apparaissent en effet dans les régions désertiques (et désertées) du pays, loin de la Galice, terre historique de la production laitière et dense en moyennes exploitations. Il s’agit donc aussi d’un modèle d’exploitation laitière très peu autonome sur le plan alimentaire. Enfin, des primes importantes au volume permettent aussi le développement de ces exploitations.

Pourtant, ce modèle connait d’importantes limites. Nous venons d’aborder la question de l’autonomie alimentaire des exploitations, qui pose question lorsque le prix de l’alimentation animale explose, comme ce fut le cas en 2022. La recherche d’une meilleure maitrise alimentaire amènera-t-elle à une intégration verticale de ces exploitations ? Se pose aussi la question de la durabilité environnementale de ce modèle, notamment vis-à-vis de la ressource en eau, rare dans ces régions désertiques. Enfin, le développement de ces très grandes exploitations en régions arides se fait à contre-courant de la préoccupation grandissante de la société occidentale vis-à-vis du bien-être animal.

Nous le voyons donc, il n’existe pas un seul modèle européen de très grands troupeaux laitiers. Dans tous les cas, les conditions qui ont permis l’émergence et le développement de ces grands troupeaux en Europe ne sont a priori pas réunies en Bretagne. Ce modèle de très grands élevages devrait donc rester exceptionnel dans la région.

Pour en savoir plus

La conférence « Développement des très grands troupeaux laitiers dans différents pays du monde : forces motrices, enjeux et impacts » a eu lieu à l’Académie d’agriculture le 5 juin 2024. Vous pouvez retrouver l’ensemble des interventions et des supports de présentation en cliquant sur le lien ici.

*RCAI = Résultat courant avant impôts

Rédigé par Olivier Carvin

Chargé de mission Economie - Emploi, référent sur la filière laitière Docteur en économie de l'agroenvironnement. Breton d'adoption. Je mets mes compétences en analyse économique au service de la filière laitière bretonne. Je suis aussi le M. Diffusion de l'équipe.

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