Prolongation du seuil de revente à perte : à quand un bilan de la mesure ?

Alors que la proposition de loi visant à prolonger le relèvement du seuil de revente à perte sur les produits alimentaires (SRP +10 %) a été adoptée à l’Assemblée Nationale, le débat sur son efficacité a été relancé.

Le SRP +10 % conserve globalement les faveurs des principaux concernés (fédérations d’industriels, syndicats de producteurs, et même quelques distributeurs comme Système U ou Ecomiam). En revanche, l’association de consommateurs UFC Que Choisir affirme par exemple que le dispositif, en plus d’être inefficace, a grevé le budget des consommateurs en pleine période d’inflation. Qu’en est-il ?

Prolongation du SRP +10 jusqu’en avril 2026

Pour rappel, le seuil de revente à perte majoré de 10 % instauré en 2019 avait pour objectif de permettre à la grande distribution de dégager une marge sur des produits alimentaires « d’appel », très consommés (et jusque-là peu rentables pour les enseignes). Ceci, afin d’en faire un usage vertueux, comme acheter plus cher certains produits pour que, à l’autre bout de la chaîne, l’amont agricole en bénéficie.

Initialement, le député Stéphane Travert, porteur de la proposition de loi, espérait prolonger le SRP +10 jusqu’en 2028. Trop long, d’après la députée Mélanie Thomin, qui a porté l’amendement visant à ne prolonger le dispositif qu’à 2026 lors de l’examen du projet de loi par l’Assemblée Nationale, le 17 mars.

Une prolongation qui devra être accompagnée d’une meilleure évaluation des retombées, afin de déterminer enfin si oui ou non, les bénéfices du SRP+10 arrivent bien dans les poches des agriculteurs.

Plusieurs milliards d’euros payés par le consommateur depuis six ans : l’estimation de l’UFC que Choisir

Rappelons à ce titre que l’UFC-Que Choisir a publié le 4 février dernier une étude portant sur l’impact supposé du SRP +10 %. L’association s’est basée sur l’EBE (excédent brut des exploitations) dans quatre filières concernées par la mesure (grandes cultures, porc, lait et viande bovine). Elle a constaté que l’EBE avait baissé en 2019, pourtant année d’entrée en vigueur du seuil de revente à perte, dans les filières céréalières, viande de porc et de bœuf, et stagné pour la filière laitière. Depuis 2020, les hausses globales de l’EBE des exploitations ne seraient  « dues qu’à l’augmentation considérable des prix européens et mondiaux » d’après l’UFC.  

Des fluctuations qui ne dépendent donc vraisemblablement pas de la mise en place du SRP +10 %, si bien que l’association l’affirme : la mise en place du dispositif coûterait entre 470 millions et 1 milliard d’euros par an aux consommateurs, sans rien rapporter aux agriculteurs.

Conserver le dispositif… Tout en en garantissant l’efficacité

Nous avons demandé aux parlementaires d’avoir un éclairage sur la réelle réutilisation des 600 à 800 millions d’euros annuels permis par cette mesure, qui ne ruissellent pas.

Arnaud Rousseau, président de la FNSEA (News Tank Agro, 18/03/25) 

A ce sujet, Stéphane Travert se veut confiant. Parmi les nouveautés apportées à la loi figure bien un amendement visant à préciser que l’évaluation du SRP devra se fonder sur des documents transmis par les distributeurs pour retracer l’utilisation du surplus de marge engendré par le SRP+10 %.

En cas de manquement de la part des distributeurs, une sanction a été proposée par Stéphane Travert, correspondant à une amende de 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.

Le partage des données pourrait même aller plus loin que la grande distribution : le groupe socialiste de l’Assemblée Nationale espère en effet contraindre les industriels de l’agroalimentaire à renseigner également leurs marges à l’Observatoire de la Formation des Prix et des Marges des produits alimentaires. Une obligation qui ne concernerait que les grands groupes, au chiffre d’affaires supérieur à 350 millions d’euros.

La proposition de loi ainsi amendée va être transmise au Sénat pour être examinée

Mais ne nous le cachons pas : difficile en réalité d’évaluer l’efficacité de la mesure, tant nos filières agricoles sont complexes et comptent de nombreux intermédiaires. Par ailleurs, les dernières années ont été le théâtre de nombreux chocs : crise du Covid, extrêmes climatiques ou encore inflation. Une instabilité d’ailleurs amenée à durer…

Dans les faits, cette mesure, comme les nombreuses autres composant les lois Egalim successives, semble souvent impuissante face à la loi du marché. Car dans le système actuel, c’est bien le distributeur qui fixe son prix en fonction de ses clients et de ses concurrents, et non le producteur en fonction de ses coûts de production. Il est peu probable que les lois Egalim arrivent à elles-seules à inverser cette tendance.