Hausse du coût de l’énergie : quelles conséquences pour les IAA ?
À l’occasion des Rendez-vous Economie-Emploi organisés par la Chambre d’agriculture de Bretagne à la mi-novembre 2022, plusieurs représentants des Industries Agroalimentaires (IAA) ont témoigné des impacts de la hausse du coût de l’énergie sur leurs activités, ainsi que des actions mises en œuvre pour réduire le coût de la facture énergétique, que ce soit à court terme et à long terme.
« Nous sommes devant un mur infranchissable » : c’est par ces mots que Dominique Chargé, président de Coop de France, résumait la situation à l’approche de l’hiver. Un constat qui semblait être partagé par l’ensemble des acteurs de l’agroalimentaire, tant les conséquences liées à la hausse du coût de l’énergie sont importantes.
Des coûts directs…
La conséquence directe de cette inflation est l’augmentation de la facture énergétique totale, qui se situe entre +70 % et +200 % selon les acteurs. Une hétérogénéité de l’impact qui s’explique par plusieurs facteurs, notamment :
- La date de renouvellement des contrats.
- La part du coût de l’énergie dans le coût total de production et selon la spécialisation de l’usine. Par exemple, la part du coût lié à l’énergie pour la production de certaines poudres de lait est égale à 40 %. Pour le secteur de la nutrition animale, le coût de l’énergie représente autour de 20 % du prix des aliments pour le bétail.
- Le taux de couverture par l’ARENH[1]. Notamment, d’après Sodiaal, le taux de couverture varierait de 40 % à 60 % selon les laiteries.
- Le taux de couverture anticipée qui permet aux industriels comme la Sill ou Eureden d’avoir sécurisé le prix d’une partie de l’approvisionnement énergétique avant que celui-ci ne flambe.
Pour les plus gros transformateurs (Eurial, Sodiaal), la facture énergétique pour 2023 pourrait être multipliée par trois voire par quatre, jusqu’à atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros. Ce sera autant d’investissements qui ne pourront pas être faits.
… Et des effets collatéraux
Outre le coût direct de la hausse de la facture énergétique, il existe aussi un ensemble de conséquences indirectes qui affectent la production agroalimentaire.
Entre autres, la baisse de production d’un fournisseur, afin de faire face à l’inflation, peut impacter la production d’un industriel. C’est le cas d’Eureden qui est confronté à un risque de manque d’approvisionnement de contenants produits par Duralex.
Tromelin Nutrition a évoqué des tensions exacerbées dans la fourniture de pulpe de betterave séchée, matière première importante pour le secteur de l’alimentation animale. En effet, il est aujourd’hui plus intéressant pour les cultivateurs de la mettre en méthanisation pour éviter l’étape du séchage, que de la vendre au secteur de la nutrition animale. Equilibrer les rations devient ainsi plus compliqué ou hors de prix.
Il peut aussi y avoir des impacts en termes de main d’œuvre. Afin de réduire les coûts énergétiques, les producteurs de la coopérative Solarenn réduisent la durée de production, ce qui implique des contrats saisonniers plus courts et donc moins attractifs pour la main d’œuvre, dans un secteur qui connaît déjà des tensions au niveau de l’emploi.
Enfin, il existe aussi un risque de délestages, c’est-à-dire de coupures temporaires. Celles-ci pourraient affecter la production, comme nous l’ont témoigné Le Gouessant, ou encore Eurial dont la production laitière est périssable en moins de 48 heures.
Surmonter la crise
Les aides gouvernementales
Pour aider les IAA à surmonter la crise, l’Etat a mis en place un guichet d’aide au paiement des factures de gaz et d’électricité s’adressant aux entreprises de tailles intermédiaires (ETI) et aux grandes entreprises. Toutefois, de nombreuses entreprises ont témoigné de l’impossibilité pour elles d’accéder à ces aides à cause du caractère trop restrictif des conditions d’accès (voir ici pour plus de détails sur les dernières mesures mises en place début 2023, et ci-dessous pour un logigramme d’accès aux aides). Ainsi, en fin d’année, seules 13 demandes d’aides auraient été déposées par des entreprises à l’échelle de la région. Cela interroge sur la réelle efficacité de cette aide.
Répartir les impacts sur l’ensemble de la filière
Un autre moyen de faire face à la hausse des coûts est de faire répercuter cette hausse auprès de l’aval de la filière. Cependant, pour tous les acteurs ayant témoigné, les négociations commerciales ont été tendues en 2022 et Egalim 2 ne permet pas de faire répercuter automatiquement les hausses des coûts non agricoles. La proposition de loi déposée par Frédéric Descrozaille permettrait de renforcer le pouvoir de négociation des IAA. En effet, en l’absence d’accord entre une IAA et un distributeur avant le 1e mars, c’est le tarif proposé par le fournisseur qui est fixé d’office, ou le fournisseur ne livre pas.
Selon Eurial, la hausse des prix devrait être de +10 % à +20 % en 2023, sachant qu’elle a déjà été de +10 % en 2022. De plus, même si elle est indispensable, le Cerafel craint qu’une hausse des prix n’entraîne une baisse de la consommation. L’équilibre est difficile à trouver.
Réduire la consommation d’énergie
Quoi qu’il en soit, les transformateurs doivent s’adapter afin de réduire au mieux la facture énergétique. En alimentation animale, il n’est pas possible d’envisager de réduire les tonnages fabriqués car la poursuite de l’approvisionnement des éleveurs est une nécessité. D’autres leviers sont à mettre en place. Les coopératives Garun-Paysanne et Le Gouessant envisagent de substituer les aliments granulés par des farines ou des granulations plus grossières donc moins énergivores, et de poursuivre la rationalisation de la collecte des céréales et de la distribution des aliments. La Sill rehausse la température de ses chambres froides. Eureden fait fonctionner des groupes électrogènes pendant les périodes où le prix de l’électricité est le plus élevé, et envisage de ne faire fonctionner les usines que quatre jours par semaine. Toutefois, ces évolutions ne sont pas sans conséquences sur l’emploi, que ce soit en termes du coût du travail ou en termes d’attractivité des emplois.
Enfin, l’arbitrage entre les différentes fabrications de l’usine divise les transformateurs laitiers. Des entreprises laitières pourraient envisager de diminuer la fabrication de poudres de lait, très énergivores, en faveur des laits de consommation. Pour Eurial, cette solution n’est pas envisageable et, selon Sodiaal, cela entrainerait un déséquilibre de marché si plusieurs laiteries s’orientaient vers le lait de consommation.
Les stratégies à long terme
Au-delà de cette crise, les transformateurs développent des stratégies pour réduire leur dépendance aux énergies fossiles. C’est le cas d’Eurial, qui vise un objectif ambitieux de réduire la consommation d’énergie fossile de 50% d’ici 2035 et de passer à 0 % en 2050. Pour cela, la principale stratégie est de développer les énergies renouvelables. Les principales alternatives envisagées étant les pompes à chaleur et le photovoltaïque. De même, Eureden souhaite investir dans le photovoltaïque, ainsi que dans le biogaz pour le fret. La décarbonation est aussi une ambition forte pour le groupe Sill qui investit actuellement dans des unités de méthanisation de la biomasse sur trois sites supplémentaires.
Pour la coopérative Garun-Paysanne, la réduction de la consommation passera par la modernisation des outils de production (moteurs nouvelle génération) et de logistique (camions nouvelle génération). Une autre solution envisagée est la mutualisation entre plusieurs sites industriels et de logistiques, afin de réduire les coûts de transports.
Ainsi, dans le secteur agroalimentaire comme ailleurs, cette crise se révèle être une opportunité pour accélérer la décarbonation de la production. Toutefois, cette décarbonation, qui demande des investissements importants, ne sera possible que si l’on donne les moyens aux IAA de faire face à cette hausse sans précédents des coûts de l’énergie.
[1] Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique. Pour plus d’informations sur ce dispositif, voir ici