Les nouvelles tendances alimentaires
Lydia Rabine, Chargée des idées stratégiques de la division Worldpanel de Kantar Worldpanel, revient pour AgriEco sur l’évolution de la consommation sur la dernière décennie et l’émergence des nouvelles tendances alimentaires. Moins, mais mieux : à l’heure de la sobriété, la consommation alimentaire se veut plus responsable bien qu’elle se fasse sous contraintes (de temps, de budget et de générations).
L’avènement d’une consommation alimentaire plus responsable
Après des années de croissance, la France est entrée dans l’ère du consommer Moins mais Mieux mettant fin à plus de 50 ans d’hyperconsommation. Panne de croissance démographique, volonté de moins gaspiller, les marques ne peuvent plus compter sur une croissance volume. Les arbitrages des consommateurs se font plus drastiques, ils rationalisent leurs achats en réduisant le set de marques achetées. C’est 152 marques achetées en moyenne par foyer en 2021 contre 156 en 2018 sur 1948 marques étudiées.
La croissance n’est donc plus une évidence. Seules 48 % des marques présentes en 2012 réussissent à gagner des points de contact sur 10 ans.
Les enseignements de ces 10 dernières années nous montrent que les drivers de succès des marques ont été un positionnement autour du Mieux Manger (présence de marques comme Jardin Bio ou Bjorg), la Praticité (illustrée par des marques de viennoiserie industrielle comme La Boulangère, La Fournée dorée) et le Plaisir (Lotus, Magnum, Old El Paso). Il est intéressant de noter également l’arrivée de nouvelles marques dans le paysage français. Si elles n’existaient pas en 2012, elles ont su se hisser à une place de choix dans le placard des ménages. Des marques, nouvelle génération, nées avec une mission pour la plupart. C’est qui le Patron ?! en est la parfaite illustration se positionnant en tête de ces nouveaux entrants les plus choisis par les consommateurs. La marque arrive en 156ème rang du classement BrandFootprint 2021 avec 23 millions de points de contact.
Poursuivre la transition alimentaire vers des produits plus clean et plus vertueux n’est désormais plus une option. La mise en place d’un cadre législatif (lois AGEC, Climat, EGALIM, Européenne…) et des attentes consommateurs évolutives poussent les acteurs de la grande consommation à se réinventer. Si les dimensions autour de la santé sont toujours prépondérantes dans le choix d’un produit (être en bonne santé, c’est avant tout bien se nourrir pour 94,8% des ménages), un réveil des consciences encourage des actes d’achat plus citoyens.
Les attentes des consommateurs ont ainsi résolument changé ces dernières années avec l’apparition de nouveaux régimes alimentaires très populaires comme le flexitarisme (présent chez près de 50% des foyers), faisant place à plus de végétal et moins de protéines animales dans nos assiettes.
Des actes d’achat également plus engagés envers l’environnement que l’on peut lire à travers la dynamique des produits biologiques, écologiques ou plus engagés envers les autres avec notamment le plébiscite du Made in France. Le local est en effet à l’honneur dans les choix des consommateurs et l’emphase est aux marques issues des PME qui ont gagné 2,3 pts de parts de marché en 10 ans. Aujourd’hui c’est près de 12% des dépenses des Français qui leur sont dédiées. Les marques ont su travailler en profondeur leurs recettes et packagings pour prendre en compte ces nouvelles attentes des consommateurs. Ainsi ces 10 dernières années ont été marquées par le boom des labels, mentions, systèmes de notation qui fleurissent un peu partout sur les packagings des produits.
Mais une consommation sous contraintes
Des contraintes de temps
Si la nécessité de tendre vers une consommation plus responsable fait l’unanimité auprès des consommateurs, ces derniers font néanmoins face à des contraintes de temps de plus en plus fortes, du fait de l’évolution des modes de vie et de la structure des foyers (travail des femmes, plus de petits foyers, mono parentalité…).
Des contraintes qui freinent leur volonté de faire leurs courses dans des circuits certes plus vertueux mais aussi très fragmentés (magasins Bio, magasins Vrac, vente directe…). Un manque de temps qui les pousse donc à privilégier les circuits ‘Tout près de chez Soi’. L’e-commerce et la livraison à domicile se sont ainsi particulièrement développés et diversifiés ces dernières années avec l’arrivée de nouveaux intervenants comme les agrégateurs type Uber Eat, Deliveroo ou les acteurs de quick commerce (Flink, Getir, Gorillas…). Les magasins de proximité répondent également mais de manière plus modérée à ces attentes consommateurs.
La crise sanitaire et l’installation durable du télétravail au sein des foyers actifs ont accéléré encore un peu plus cette tendance au ‘Homing’ (tout faire de chez soi).
Les Français ont, en effet, goûté à de nouveaux styles de vie avec une recherche de confort qui prédomine. Une recherche de commodité qui les pousse à changer également leurs manières de consommer. Les Français cuisinent moins et achètent davantage de plats cuisinés tout prêts pour gagner du temps et se faciliter la vie. Les catégories Traiteur Frais Libre-service et Traiteur de la mer sont celles qui ont le plus progressé ces 10 dernières années avec le surimi, les steaks de soja, les panés de poisson ou encore les salades, crudités, légumes en sachet.
Des contraintes budgétaires
Face aux nouvelles injonctions imposées par la société, tous les consommateurs ne sont pas logés à la même enseigne, divisant un peu plus la société entre les Fin du Monde vs les Fin du Mois. Un phénomène fortement accéléré par la crise inflationniste de 2022 qui oblige les foyers les plus fragiles financièrement, mais pas seulement, à revoir leurs manières d’acheter et de consommer.
Ainsi les Français privilégient davantage les petits prix en reportant une partie de leurs achats vers les marques de distributeurs et les enseignes de discount. L’envie de mieux consommer reste forte mais les consommateurs arbitrent désormais au sein des promesses du Mieux manger. Les promesses qui justifieront le mieux leurs prix sont celles qui résisteront le mieux. A date, les produits ‘Sans’ et écologiques gardent les faveurs des ménages.
Les Français revoient également la composition de leurs repas, autre stratégie adoptée pour limiter la facture. Un repas plus sobre qui se recentre autour d’un plat unique, riche, partagé par toute la famille (gratin de pâtes, pâtes au beurre…) avec l’absence quasiment de protéines animales.
Des Français plus attentifs par ailleurs à ne pas gaspiller dans cette période de recherche d’économies. L’anti-gaspillage, qui répond aux contraintes budgétaires des ménages mais aussi aux injonctions de protection de l’environnement, pourrait fortement s’accélérer dans cette ère de la sobriété. Les initiatives autour du Recommerce (revendre, réutiliser, réparer…) sont autant de pistes à investiguer pour répondre aux consommateurs.
Des contraintes générationnelles
Les marques font face également aux défis de répondre à une population de plus en plus vieillissante tout en s’adressant aux futures générations de shoppers.
Les seniors, une clientèle incontournable. Les 55 ans et plus représentent, en effet, 45% des foyers et près de 50% des dépenses en produits de grande consommation. La France est rentrée dans l’ère des Papys Boomers (la génération des babys boomers arrivée désormais à l’âge senior) et de la Silver Economie. Des consommateurs qui cuisinent beaucoup, des produits frais, des produits de la mer. Les dimensions locale et équitable sont des cartes à jouer car sur-représentées dans leurs achats. Il est vrai qu’ils ont davantage de moyens financiers que les plus jeunes mais font très attention aux prix, craignent pour l’avenir et ont donc besoin d’être réassurés. Le point de vente, le conseil et l’accompagnement seront clés.
Les marques doivent en parallèle se préparer au long terme. Un nouveau monde que l’on peut lire à travers les habitudes de consommation des Millennials qui nous offrent un bel aperçu de la société d’après. Aujourd’hui les moins de 35 ans représentent 21% des foyers et près de 15% des dépenses alimentaires. Une génération ultra connectée dans son parcours d’achat (informations via les réseaux sociaux, utilisation des applications food, commandes sur Internet, service de livraison…). Cela implique d’accélérer la transformation digitale. Une génération qui a également ses propres codes : influenceuse influencée, elle se laisse tenter, est attachée aux marques connues, a envie de consommer surtout pour son look et aime créer. Par souci financier, elle est moins active sur les notions d’environnement et d’équité que ses ainés, mais attend tout autant que les marques s’engagent. Une génération qui aime donner son avis et se fie davantage à ses pairs. Cela nécessite de l’inclure dans sa stratégie, en co-créant et en travaillant davantage le marketing de l’influence.
En conclusion
Face aux nombreux défis d’une société de consommation de plus en plus sous contraintes, les marques de demain devront être responsables, agiles (pour s’adapter aux évolutions de mode de vie, de consommation, générationnelles) et proposer davantage d’expériences clients, de serviciel.
➡️ Lydia Rabine est intervenue à la journée des salariés des industries agroalimentaires de Bretagne organisée par les Chambres d’agriculture de Bretagne le 30 septembre 2022 : nouvelles tendances alimentaires, quels impacts sur l’agroalimentaire breton ? Revivez l’évènement en vidéo :