Les reconversions professionnelles vers l’agriculture : des trajectoires différenciées
Avec des départs en retraite massifs d’agriculteur, le renouvellement des générations est un enjeu fondamental pour l’avenir du secteur agricole. Dans ce contexte, les installations de personnes « non issues du monde agricole » sont de plus en plus vues comme une solution et encouragées. Une enquête auprès de stagiaires en BPREA1 en maraîchage bio, montre des trajectoires différenciées de ces nouveaux publics.
En Bretagne, selon la MSA, 40 % des agriculteurs ont plus de 55 ans en 2022. Ce taux atteint 48 % au niveau national. La question du remplacement des départs en cours et à venir est une question majeure pour le maintien d’une agriculture forte et dynamique. Depuis de nombreuses années, les enfants d’agriculteurs ne sont plus un vivier suffisant pour remplacer leurs parents quand ceux-ci prennent leur retraite. L’origine des jeunes dans les centres de formation agricole est de plus en plus diversifiée. Et en parallèle, un nombre croissant d’adultes choisit de se reconvertir en agriculture, et pour certains, de s’installer comme chef d’exploitation.
Jean-Baptiste Paranthoën, chargé de recherche en sociologie à l’INRAE, a conduit des travaux de recherche sur les trajectoires de ces nouveaux entrants dans ce secteur agricole suite à une reconversion professionnelle. Au-delà de la situation finale de l’agriculteur une fois installé, il a voulu aller plus loin pour montrer les mobilités professionnelles vers l’agriculture en train de se faire, et ainsi montrer d’autres trajectoires moins connues, ou du moins peu médiatisées.
Trois profils identifiés
En agriculture, le succès de l’installation est largement conditionné à l’obtention de la capacité agricole, c’est-à-dire à l’obtention d’un diplôme agricole de niveau 4 (niveau bac), ce diplôme permettant d’acquérir des compétences, mais aussi d’accéder aux aides à l’installation (DJA2). Jean-Baptiste Paranthoën a donc suivi le parcours de 15 stagiaires en BPREA en maraîchage biologique dans un CFPPA3 en zone périurbaine4. Ces stagiaires, non issus du milieu agricole, sont sensibles aux préoccupations environnementales ; beaucoup ont un niveau supérieur au bac (60 % bac + 2 ou plus) et la moitié étaient dans des emplois de cadres ou de professions intermédiaires.
Les déclassés
Ce sont surtout des jeunes qui ont fait des études, souvent jusqu’au bac, mais qui n’ont pas réussi à convertir cet investissement scolaire : ils ont vite abandonné les études supérieures pour occuper un emploi subalterne. Leur aspiration pour l’agriculture ne s’inscrit donc pas en rupture, mais en continuité avec leur parcours car ils s’intéressent à ce domaine : ils peuvent avoir un potager, ou travailler dans la distribution alimentaire. Se former en maraîchage, c’est pour eux trouver une voie de reclassement en valorisant professionnellement leurs pratiques d’autoproduction et/ou leur connaissance des produits alimentaires.
Les désenchantés
Ils ont un diplôme de niveau élevé, ils occupent un emploi stable d’encadrement et de direction, et sont à l’aise financièrement. Mais désabusés suite à des crises professionnelles, ils recherchent leur indépendance, moyen pour eux de mieux conjuguer vie professionnelle et vie familiale. Ils sont relativement proches du monde agricole par leur famille (parents ou grands-parents agriculteurs) ou leur activité professionnelle (journaliste agricole, directeur de chantier d’insertion, vétérinaire). Leur connaissance de la pratique agricole étant superficielle, le diplôme agricole leur permet d’acquérir une légitimité professionnelle. Et ils voient dans le métier d’agriculteur l’occasion d’exercer une activité plus écologique et valorisée socialement et symboliquement.
Les détachés
Ils sont plus âgés (plus de 40 ans) et ne peuvent donc plus prétendre au dispositif d’aides publiques à l’installation. Leurs diplômes de niveau scolaire plus faible que les autres. Ils ont souvent occupé des emplois très peu qualifiés, avec une grande mobilité professionnelle, mais plutôt horizontale. S’ils peuvent entrer en formation continue, c’est notamment grâce à leur conjoint(e) qui gagne plutôt bien sa vie. Pour eux, l’accès à la formation continue constitue moins un enjeu professionnel, qu’un outil de développement personnel qui prolonge en quelque sorte leurs loisirs.
La formation : une confrontation à la réalité du métier
En formation, les stagiaires sont confrontés à la réalité du travail en maraîchage et donc par une forme de marginalité économique et professionnelle, ainsi que des contraintes physiques importantes. Dès lors, soit l’envie de s’installer se confirme et la formation apparait comme un moment de révélation ; soit une réorientation du projet s’opère, notamment chez les femmes et les personnes les plus âgées, qui se rendent compte de l’exigence physique du métier.
Une enquête du CFPPA auprès de 55 personnes ayant suivi la formation montre qu’au final, 42 % ne poursuivent pas en agriculture. Pour les autres, 23 % deviennent chefs d’exploitation, 22 % ouvriers agricoles, 9 % responsables d’exploitation et 4 % conseillers techniques.
Trois types de parcours
Dans sa recherche, Jean-Baptiste Paranthoën identifie trois types de parcours suite à la formation.
Tout d’abord, l’installation rapide, qui concerne surtout les désenchantés. Mais la seule détention d’un diplôme agricole n’est pas une condition suffisante pour devenir agriculteur. Disposer du foncier étant un facteur déterminant, l’accès à la terre se fait alors par des voies de traverse, notamment via les collectivités locales qui peuvent mettre des terres à disposition. Certains vont aussi pouvoir s’installer sur les terres des grands-parents, manière pour eux de renouer avec leurs racines familiales.
Par manque de ressources financières pour s’installer, certains stagiaires deviennent ouvriers agricoles. Ils se retrouvent entre deux mondes : lors de la formation, ils se sont éloignés des modèles agricoles les plus hétérodoxes auxquels ils croyaient (ex. permaculture) ; mais en même temps, ils ne sont pas forcément pris au sérieux par les organisations professionnelles agricoles. Par ailleurs, ces nouveaux ouvriers agricoles se retrouvent dans une forme de précarité économique (faibles rémunérations, emplois non stables et saisonniers). Si cette situation est plutôt bien acceptée par les déclassés (les plus jeunes qui avaient des fonctions subalternes), elle est très mal vécue par les désenchantés, qui vont alors quitter le métier, renoncer à l’agriculture. Le renoncement est donc le troisième parcours possible. Même s’ils retournent dans leur métier d’origine, certains vont pour autant pouvoir mobiliser des compétences acquises en formation.
Comprendre les raisons des échecs
Ces résultats montrent une autre réalité peu celle présentée dans les médias grand public. En effet, ces derniers valorisent les reconversions, initialement jugées improbables, mais qui au final ont réussi, c’est-à-dire ces urbains, sans famille agricole, et qui ont pu s’installer comme chef d’exploitation.
Mais là, le regard se porte une fois que les choses sont faites. Or, l’analyse des trajectoires de ces personnes en reconversion, montre des formes de mobilité moins visibles, mais aussi que toutes les démarches n’aboutissent pas. Et l’intérêt de cette recherche est de comprendre les raisons de ces échecs, ainsi que de mettre en avant les incidences personnelles de ces parcours.
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de Jean-Baptiste Paranthoën lors du webinaire organisé par la SFER (société française d’économie rurale) le 17 novembre 2023 ainsi que les débats qui ont suivi.