

Le beurre et l’argent du beurre
Le cours du beurre a atteint des niveaux record depuis plusieurs mois, et la France est importatrice nette de ce produit. Pour autant, la valorisation de la matière grasse côté producteurs n’a pas bougé d’un centime depuis plus d’une décennie. Une situation que les représentants des producteurs souhaitent faire évoluer.
La France manque de matière grasse. Depuis 2017, le pays est importateur net de beurre. En 2024, plus de 200 000 tonnes de beurres sont importées par la France, soit l’équivalent de plus de la moitié de la production nationale. Pourtant, la matière grasse est aujourd’hui insuffisamment valorisée du côté des producteurs, alors même que tous les schémas de sélection travaillent sur l’augmentation de la matière utile du lait, c’est à dire l’augmentation des taux de matière grasse et de matière protéique par litre de lait. C’est le constat qu’ont d’abord fait les adhérents de Jersi’Est, une association de promotion de la race Jersiaise, située dans l’est de la France. Le débat s’est ensuite propagé au sein des instances nationales.
Des indicateurs de valorisation obsolètes
La matière grasse (MG) et la matière protéique (MP) sont valorisées pour chaque gramme supplémentaire au-delà de la composition standard définie à 38 g/litre de MG et 32 g/litre de MP. Cette valorisation est négociée au sein des interprofessions régionales. Par exemple, en Bretagne et Pays-de-la-Loire, la valorisation de la MG est de +/-2,6 €/kg et la valorisation de la MP de +/-6,6 €/kg. En Bourgogne-Franche-Comté, les valorisations sont, respectivement, de +/-2,5 €/kg et de +/-6 €/kg.
Le problème est que ces indicateurs n’ont pas été renégociés depuis le début des années 2010. Or, depuis, le prix du lait de composition standard a fortement augmenté : il a augmenté de 100 €/1 000 litres entre la moyenne 2013 et la moyenne 2024. Ainsi, tout gramme additionnel de MG ou de MP est relativement moins bien valorisé en 2024 qu’en 2013.
Deuxième évolution d’importance sur la dernière décennie : le cours du beurre a connu une croissance sans précédent. La cotation du beurre européen est ainsi passée de moins de 3500 €/tonne en janvier 2013 à près de 7500 €/tonne en janvier 2025, soit plus du double. A titre de comparaison, le cours européen de la poudre de lait écrémé est passée de 2600 €/tonne en janvier 2013 à… 2600 €/tonne en janvier 2025. Conserver des indicateurs de valorisation négociés il y a plus de dix ans n’a donc plus de sens.

Source : Observatoire du marché du lait – Commission européenne
Un manque à gagner pour les producteurs bretons
D’après l’Observatoire Cilouest de la qualité du lait, le taux de MP sur la région Ouest (Bretagne + Pays-de-la-Loire) est sensiblement la même qu’au niveau national : 34,2 g/litre contre 34 g/litre en France en 2024. En revanche, sur la MG, l’écart entre la France et la région Ouest est beaucoup plus important : 43,7 g/litre en région Ouest contre 42 g/litre pour la moyenne nationale. Par ailleurs, l’écart avec les taux standards est aussi bien plus important : 5,7 g/litre en MG contre 2,2 g/litre en MP. Enfin, l’observation des données sur les dernières années montre bien une évolution positive du taux de MG en région Ouest. En moyenne sur 2020, le taux de MG était de 42,9 g/litre, soit une hausse de 2 % en quatre ans. Toutes ces données montrent bien que la question de la valorisation de la MG est particulièrement cruciale pour les éleveurs bretons.
En supposant que la valorisation des grammes supplémentaires de MG ait suivi la valorisation du beurre, celle-ci serait aujourd’hui à +/-5,6 €/kg, soit un écart de 3 €/kg par rapport à la situation actuelle. En considérant une exploitation de 600 000 litres/an et ayant le même taux moyen de MG que celui observé par le Cilouest, cela correspond à un manque à gagner de 10 260 €/an, soit 19 152 € de prime annuelle MG au lieu de 8 892 € !
D’accord pour négocier… mais comment ?
Alors que les coopérateurs sont favorables à une révision des indicateurs via une renégociation au sein des interprofessions régionales, les laiteries privées se prononcent contre. Selon elles, les négociations devraient se faire entre chaque industriel et chaque organisation de producteurs (OP). De quoi « créer des distorsions dans les territoires entre les OP » selon Yohann Barbe, président de la Fédération nationale des producteurs laitiers (FNPL).
De leur côté, Jersi’Est propose d’avoir une valeur du gramme additionnel de la MG qui soit corrélée avec le prix de base. Ainsi, plus le prix de base est élevé, plus le prix du gramme additionnel de la MG serait élevé aussi. Cependant, ce type de valorisation n’est pas possible selon le cadre réglementaire du Criel. Il faudrait alors le négocier… entre les industriels et les OP. En attendant, le cours du beurre reste à des niveaux record et sa valorisation échappe aux producteurs.