Production laitière : vers la fin d’une croissance européenne
La France est le 2e pays producteur de lait en Europe. Cependant, la production laitière française semble être en décrochage en comparaison aux autres grands pays producteurs du continent. Une étude comparative réalisée par la Chambre d’agriculture de Bretagne montre que la production laitière française souffre d’un manque de compétitivité, ce qui a freiné sa croissance. Cependant, les autres modèles de production montrent aussi leurs limites, particulièrement en raison des conséquences environnementales.
Une étude comparative des productions laitières
La production laitière française est une filière majeure du pays, et la France est le deuxième pays européen en termes de collecte, derrière l’Allemagne. Cependant, entre 2017 et 2023 la collecte nationale a connu un déclin sans précédent. Sur cette période, la collecte française a en effet perdu plus d’un milliard de litres de lait, soit un recul de près de 5 %. Ce recul est directement lié à la décapitalisation du cheptel bovin laitier du pays. Sur la seule année 2023, le cheptel de vaches laitières a reculé de 1,6 %.
Dans le même temps, sur cette dernière décennie, certains pays européens ont vu leurs volumes augmenter considérablement, en particulier l’Irlande et la Pologne. Est-ce le signe d’un déclassement de la production laitière française en Europe ? La cause de ce phénomène est-elle un manque de compétitivité des exploitations laitières françaises ? Afin d’apporter des éléments de réponse, une étude réalisée par la Chambre d’Agriculture a comparé et analysé les évolutions des cheptels laitiers bretons, des autres régions du Grand Ouest et des principaux pays producteurs de lait en Europe. En voici les principaux éléments. Une première partie se concentre sur les caractéristiques de la production bretonnes comparée aux autres régions du Grand Ouest. Cette seconde partie analyse les évolutions de collecte des principaux pays européens sur la dernière décennie, et les perspectives pour la décennie à venir.
L’Europe en croissance, la France stagne
Parmi les grands pays producteurs laitiers européens, seule la France n’a pas vu sa collecte augmenter significativement entre 2013 et 2022. Le pays a bien connu une croissance de productivité, mais qui a permis seulement de compenser la baisse de cheptel. La croissance de la collecte bretonne est légèrement supérieure à celle de la France, mais elle reste marginale comparativement à celle des pays ayant eu les plus fortes croissances sur cette période.
Le prix à l’origine de la stagnation française ?
La France se démarque des grands pays producteurs européens du Nord de l’Europe (Allemagne, Pays-Bas, Irlande) par un prix qui est beaucoup plus lissé. En période de crise (2016-17 et 2020-21), le prix français est supérieur, tandis qu’en période de bonne tenue des marchés mondiaux, le prix français est en dessous du prix de ses voisins. Les différents mécanismes permettant de lisser le prix payé aux producteurs français ont leurs avantages. Cependant, en moyenne sur l’ensemble de la période, le prix payé aux producteurs laitiers français est de 35,6 €/100 kg, tandis qu’il est respectivement de 36,2 €/100 kg, 37,2 €/100 kg et 37,5 €/100 kg pour l’Allemagne, l’Irlande et les Pays-Bas. Même en élargissant la période jusqu’à juin 2024, le prix français moyen reste inférieur.
Cependant, le prix ne fait pas tout et doit être mis en parallèle avec les charges de production. Une étude réalisée par le Büro für Agrarsoziologie und Landwirtschaft (BAL) pour European Milk Board a comparé le coût de production du lait dans plusieurs pays européens. En 2019, le coût de production du lait est de 52,54 ct/kg en France, ce qui est un des coûts de production du lait les plus élevés d’Europe. La moyenne européenne se situe à 45,35 ct/kg. L’Allemagne se situe à 47,44 ct/kg, les Pays-Bas à 44,54 ct/kg et l’Irlande à 34,21 ct/kg. Par ailleurs, la part des coûts non couverte par le prix est particulièrement élevée en France : elle est de 37 % alors que la moyenne européenne est à 24 %.
Une croissance européenne qui arrive à sa fin
Les perspectives d’évolution du cheptel laitier régional, basées sur les prévisions de nombre d’installations et de cessations d’activités, sont négatives au moins jusqu’en 2030 d’après l’Idele. Les perspectives sont similaires au niveau national. Toutefois, cette situation ne concerne pas que la France.
Les limites du modèle irlandais
L’Irlande, qui a connu la plus forte progression Européenne ces dix dernières années, voit son cheptel reculer depuis cet été. En juin 2024, l’Irlande a perdu 22 500 vaches laitières en un an, soit un recul de 1,4 %. Derrière des causes conjoncturelles à ce déclin (chute des prix en 2023), se cachent des causes structurelles. La dérogation Nitrates dont bénéficie l’Irlande est soumise à l’atteinte de résultats environnementaux et certaines régions ont vu leur seuil de pression d’azote organique baisser de 250 kg/ha à 220 kg/ha dès le 1er janvier 2024 en raison de la non-atteinte de ces résultats (voir notre article sur la production laitière Irlandaise ici). A cela s’ajoute la pression carbone menaçant l’avenir de la filière, bien qu’actuellement aucune mesure concrète n’ait été prise en ce sens par le gouvernement Irlandais.
La production hollandaise menacée
Les Pays-Bas font face à ce même défi environnemental. En 2022, la Commission européenne a instauré un plan de réduction des émissions d’azote organique, avec un objectif d’atteindre 170 kg/ha à l’horizon 2025. Pour y parvenir, le gouvernement des Pays-Bas a établi un programme de rachat de fermes afin d’atteindre un objectif de réduction du cheptel laitier de 30 % d’ici 2030.
Parmi les grands producteurs laitiers, seule la Pologne dispose de tous les signaux au vert pour une croissance de sa production dans la décennie à venir. Son secteur laitier est encore en pleine restructuration (agrandissement des principales coopératives par rachats, agrandissement des exploitations) et la productivité des vaches laitières polonaises reste inférieure de 10 % à la productivité moyenne européenne.
Plus généralement, d’après un rapport publié par le Parlement européen en 2024[1], la production européenne devrait voir sa croissance ralentir, voire pourrait se contracter dans les années à venir. Par ailleurs, les prévisions de la Rabobank estiment que la production cumulée des pays du nord (Belgique, Danemark, Pays-Bas, Allemagne – soit 40 % de la collecte européenne) devrait se replier de 13 à 20 % à l’horizon 2035. Selon l’ensemble de ces prévisions, la tendance actuelle bretonne et française serait donc une tendance générale européenne pour la décennie à venir, Pologne mise à part.
[1] https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2023/747268/IPOL_STU(2023)747268_EN.pdf
Vous pouvez lire le rapport de l’étude réalisée par la Chambre d’agriculture de Bretagne en cliquant ici.