Fermeture d’abattoirs en France : quel rôle des pouvoirs publics ?

Il ne reste plus que 230 abattoirs d’animaux de boucherie en France. La restructuration du secteur et plus récemment la baisse des volumes de production expliquent les nombreuses fermetures constatées ces dernières années. Des subventions aux investissements ont été proposées aux abattoirs mais on peut s’interroger sur leur pertinence et leur ciblage.

Le 28 mai dernier sortait le rapport de la mission parlementaire sur les problématiques économiques de l’abattage dans le contexte de réduction des cheptels. L’occasion d’en faire ressortir les principaux constats et recommandations. L’occasion aussi de s’interroger sur le rôle économique que peuvent jouer les pouvoirs publics quand un secteur comme celui de l’abattage se contracte.

Plus que 230 abattoirs en France

Les rapporteurs de la mission parlementaire font le constat sans appel que le nombre d’abattoirs de boucherie (abattoirs de volailles exclus) régresse continuellement. Il y en avait trois fois plus en 1980 qu’aujourd’hui. Le phénomène n’est donc pas nouveau. Mais il s’est accéléré ces dernières années avec la fermeture d’un outil par mois entre septembre 2023 et février 2024 ! La France compte désormais 230 abattoirs de boucherie.

La première explication de ce phénomène est la restructuration et la consolidation du secteur. Ce sont principalement les abattoirs de petite taille, souvent publics, qui ont connu la plus forte baisse de leurs effectifs. Ces derniers travaillent aujourd’hui essentiellement en prestation dans le cadre de circuits de proximité. Un modèle qui est complémentaire de celui des abattoirs privés. Ces derniers assurent aujourd’hui plus de 90 % du tonnage national et qui opèrent majoritairement dans les filières longues.

La concentration des opérateurs privés explique aussi la fermeture de sites. Ces entreprises favorisent l’abattage sur des grosses unités pour des raisons d’efficacité et d’optimisation. L’introduction de normes sanitaires plus strictes explique aussi ce phénomène.

Une concentration qui n’est pas sans risque

Les rapporteurs pointent néanmoins les risques que représente une trop forte concentration des acteurs. Ils en citent trois :

  • « La concentration des abattoirs réduit la concurrence et limite les débouchés pour les éleveurs, qui se retrouvent souvent dépendants d’un petit nombre d’acheteurs. »
  • « D’un point de vue sanitaire, la centralisation de l’abattage dans de grandes structures peut accroître les risques en cas de crise. »
  • « Enfin, cette concentration peut avoir des effets délétères sur les territoires. La fermeture des petits abattoirs de proximité rend plus difficile l’accès à l’abattage pour les éleveurs locaux, notamment ceux engagés dans des circuits courts. »

Bien que non cités, on peut penser au groupe Bigard en viande bovine et à LDC en volaille. On peut ajouter à cette liste le risque suivant : le poids qu’ont pris ces entreprises en France leur permet d’influer sur les marchés, que ce soit au niveau des prix et même des volumes produits. Or les intérêts de ces entreprises ne coïncident pas forcément avec ceux des autres maillons de la filière, notamment les agriculteurs et les consommateurs. La position dominante de ces entreprises est donc un vrai enjeu. La conclusion des rapporteurs à ce sujet est surprenante puisqu’ils écrivent à propos de la concentration des abattoirs entre les mains de quelques grands groupes industriels : « si la concentration des abattoirs apparaît inéluctable et même souhaitable pour faire face aux nombreux enjeux rappelés ci-dessus, ce phénomène n’est pas sans risque. »

Moins d’abattoirs car moins d’animaux

L’autre raison mise en avant pour expliquer la fermeture accélérée d’abattoirs ces dernières années est le recul de l’élevage. Cette évidence est bien mise en avant dans le rapport. Les rapporteurs détaillent les chiffres de cette contraction. Ils expliquent cette décapitalisation par un manque de rentabilité des activités d’élevage, d’attractivité des métiers et par la survenue d’aléas de type climatique et sanitaire.

Face à ce constat, ils font plusieurs recommandations. Notamment, une orientation de la PAC en faveur de l’élevage ou le développement de contrats tripartites. Concernant l’évolution de la consommation et de la concurrence européenne, les auteurs plaident pour le renforcement de l’étiquetage de l’origine des produits. Une mesure certes utile car elle protège partiellement le marché français, mais limitée dans ses effets. Dans le contexte du marché commun, il est compliqué de protéger plus le marché français. Bien que les auteurs écrivent que la loi Egalim impose 50 % de produits durables aux restaurants collectifs. Les auteurs ajoutant que « le critère de « qualité durable » a été pensé comme une manière d’inciter fortement à favoriser la production française, sans toutefois pouvoir le poser en ces termes. »

L’action économique directe la plus forte qu’ont eu les autorités publiques sur les entreprises d’abattage a été le plan de modernisation des abattoirs dans le cadre du plan France Relance comme rappelé dans cet article.

Quels objectifs pour les aides publiques aux abattoirs ?

Le rapport de la mission parlementaire porte un regard positif sur cette initiative. Il pointe néanmoins l’exemple de l’abattoir AIM d’Antrain. Cet abattoir a touché 832 000 euros de subventions avant de fermer les portes peu de temps après sans n’avoir réalisé aucun des investissements promis. Au-delà de ce « scandale », on peut s’interroger sur la finalité de ces dépenses publiques. Car contrairement à ce que laisse penser le rapport, ces aides publiques n’étaient pas destinées à consolider un maillage territorial des abattoirs puisqu’elles étaient ouvertes à tous les sites et toutes les entreprises. Or, si comme on l’a vu précédemment, la cause de la fermeture des abattoirs est la baisse de la production agricole et la consolidation des entreprises et des outils du secteur, on a du mal à voir comment donner de l’argent aux entreprises privées d’abattage influerait sur ces deux facteurs.

Soutenir un outil d’abattage dans un territoire qui risque de ne plus avoir aucun outil est en revanche légitime. En effet, comme expliqué dans le rapport, l’abattoir est un maillon essentiel de l’écosystème élevage. Mais là aussi il peut y avoir des écueils bien expliqués dans le rapport. Les abattoirs publics sont souvent non rentables et coûteux pour la collectivité faute de volume ou de culture économique. En modèle, le rapport cite l’exemple de l’abattoir de Die. Risquant la fermeture, le site a été racheté par la communauté de communes locale mais le fonctionnement quotidien est assuré par une SARL d’éleveurs. Soutien public et responsabilisation des utilisateurs ont permis de conserver un outil essentiel au tissu économique local.

Les recommandations des rapporteurs de la mission parlementaire sont donc globalement en phase avec les politiques actuelles. On peut cependant regretter une certaine frilosité sur les positions dominantes qu’ont pris certaines entreprises de l’abattage. On peut noter aussi le manque de regard critique sur l’utilisation des aides publiques qui pourraient être plus ciblées.